Les gangs de jeunes : un aperçu des programmes et pratiques
ISBN : 978-0-662-05483-2
Table des matières
Le Centre national pour la prévention du crime (CNPC) de la Sécurité publique Canada s'est engagé à développer et à diffuser des connaissances à propos des gangs de jeunes pouvant être utilisées dans la pratique. Ce dossier de recherche se propose d'aider ceux qui s'occupent de gangs de jeunes, qui s'emploient à éviter que des jeunes s'associent à des gangs ou à aider les jeunes à les quitter.
Malgré l'absence d'évaluations de qualité permettant de faire le point sur l'efficacité des efforts de prévention, d'intervention et de répression qui visent les gangs de jeunes, cette revue de la littérature fournit un aperçu des programmes et pratiques qui s'attaquent à ce problème complexe.
Introduction
Les objectifs
Cette revue se propose de contribuer à une meilleure connaissance de ce qui fonctionne, de ce qui ne fonctionne pas et de ce qui est prometteur lorsqu'on s'attaque au problème des gangs de jeunes. Il s'agit en premier lieu d'évaluer l'efficacité d'un certain nombre de mesures de prévention, d'intervention et de répression visant les jeunes impliqués dans des gangs. Dans la mesure du possible, cet aperçu se base sur les résultats d'études d'évaluation rigoureuses. Lorsque ces études font défaut, des pratiques prometteuses ou programmes modèles ont été répertoriés, ainsi que les leçons qu'il est possible d'en tirer. De tels résultats peuvent contribuer à renforcer et à structurer le développement des politiques publiques, à faciliter les décisions relatives au financement et au choix des programmes au Canada et à fournir les connaissances nécessaires pour mieux répondre aux problèmes chroniques et émergents relatifs aux gangs de jeunes.
Il faut toutefois souligner que la recherche sur les gangs de jeunes se heurte à des défis de taille. Selon d'éminents chercheurs (Klein et Maxson, 2006; Esbensen, 2004; Reed et Decker, 2002), les projets, programmes et stratégies visant les gangs de jeunes n'ont pas fait et ne font que rarement l'objet d'évaluations. En outre, si évaluation il y a eu, celle-ci n'a pas été réalisée selon les règles de l'art. Cet état de fait s'explique en tenant compte de plusieurs facteurs et principalement par le fait que la réalisation de plans expérimentaux dans ce domaine est loin d'être aisée. En outre, comme le remarque Howell (2000 : 1), « chaque gang de jeunes et chaque collectivité étant uniques, il s'avère difficile de trouver des groupes et des collectivités pouvant faire l'objet de comparaisons ».
Malgré l'absence d'évaluations rigoureuses et les défis que les gangs de jeunes représentent pour la recherche, ce rapport propose une synthèse des connaissances disponibles à ce jour et de mettre en évidence les résultats pouvant alimenter les politiques publiques et les pratiques de prévention.
Portée de la revue
Aux États-Unis, plus que partout ailleurs, le problème des gangs de jeunes a retenu l'attention des chercheurs. Leurs travaux ont exercé une influence non négligeable sur les connaissances disponibles dans ce domaine. Le lecteur devra donc interpréter avec prudence les études que nous passerons en revue, les résultats obtenus aux États-Unis n'étant pas nécessairement transposables au contexte canadien. Malgré cela, un examen des expériences menées aux États-Unis peut s'avérer utile pour identifier et structurer les projets à réaliser au Canada.
Méthodologie
L'information utilisée pour réaliser ce rapport provient de sources multiplesFootnote 1. La revue se base sur un nombre important de publications, comprenant plus de 300 articles de revues spécialisées, des monographies et des rapports émanant d'agences du gouvernement, publiés entre le 1er janvier 1986 et avril 2007. Parmi ces publications, nous en avons retenu 35 environ, notamment des publications axées sur l'évaluation des résultats et sur l'analyse de l'efficacité de programmes, politiques et stratégies visant à prévenir la formation de gangs, à intervenir auprès de gangs existants, voire à contribuer à leur dissolution.
Depuis la publication des travaux avant-coureurs de Frederic Thrasher en 1927, notre connaissance des gangs de jeunes repose sur un ensemble de recherches menées sur une période de 75 ans. Le présent rapport se base essentiellement sur les revues systématiques réalisées par d'autres chercheurs dans un passé récent. L'ouvrage de Malcolm W. Klein et Cheryl Maxson (2006) s'est avéré particulièrement utile, dans la mesure où il donne un aperçu complet et actuel des études publiées dans ce domaine et des pratiques mises en place.
Problèmes et défis d'une définition
Ce document privilégie une approche pratique et concrète et ne traite que marginalement les problèmes méthodologiques et théoriques inhérents à l'analyse des gangs de jeunes. Il nous paraît toutefois important de rendre attentifs les lecteurs aux défis que pose la définition de « gang de jeunes ».
Comme le souligne Sullivan (2006), les différents problèmes et défis que pose la définition de ce terme sont à mettre en relation avec la polysémie de son utilisation par les médias et par les chercheurs. La confusion qui en résulte, que ce soit dans le débat public ou dans les publications scientifiques, n'est pas sans faire obstacle à la compréhension de ce phénomène ainsi qu'au développement et à la mise en place de solutions pour le maîtriser (Short et Hughes, 2006). Selon Klein et Maxson (2006), une définition claire et concise nous permet de mieux concentrer nos efforts, en excluant d'emblée les groupes criminels d'adultes, les gangs de motards, les gangs en milieu correctionnel, ainsi que les groupes de jeunes dont l'implication dans des activités criminelles est peu fréquente.
Il nous semble donc important que le lecteur puisse se familiariser avec quelques définitions des gangs de jeunes développées et utilisées par des chercheurs, des décideurs et de praticiensFootnote 2. Citons en guise d'exemple la définition proposée par Klein et Maxson (2006 : 4) : « Une gang de jeunes consiste en un groupe durable, centré sur des activités de rue, dont l'implication dans des activités illégales fait partie de son identité en tant que groupe » (Klein et Maxson, 2006 : 4).
La réaction sociale aux gangs de jeunes : prévention, intervention et répression
Que ce soit aux États-Unis ou ailleurs dans le monde, la réaction sociale aux problèmes reliés aux gangs de jeunes a été caractérisée, pendant les trois dernières décennies, par trois stratégies : la prévention, l'intervention et la répression.
Les programmes de prévention essaient de décourager les enfants et les adolescents, surtout ceux qui sont à haut risque, de s'associer à des gangs de jeunes. Les programmes d'intervention visent en général les gangs et leurs membres. Enfin, les programmes de répression font appel à des unités spécialisées, rattachées aux services de police et/ou aux procureurs, dont la tâche consiste à s'attaquer aux membres de gangs et à leurs activités illégales par une application rigoureuse et agressive des lois.
Étant donné le nombre et la variété des stratégies développées et mises en place par le passé, il n'est ni possible ni utile de les passer en revue, voire de les évaluer, de façon exhaustive. Ceci d'autant plus que, comme nous venons de le souligner, la plupart de ces stratégies n'ont pas fait l'objet d'une évaluation rigoureuse. C'est pourquoi l'aperçu présenté ci-dessous ne propose que quelques exemples d'approches prometteuses et de bonnes pratiques d'une part, et d'autre part des approches qui ne semblent pas fournir les résultats souhaités.
Ce qui ne fonctionne pas
S'il est essentiel de connaître quelles stratégies se sont avérées efficaces, il nous semble tout aussi important de savoir quelles sont les réponses sociales aux problèmes posés par les gangs de jeunes qui n'ont pas atteint leurs objectifs. Les décideurs et les praticiens ne sont pas prêts à gaspiller du temps et de l'argent en mettant en place des programmes qui, selon les résultats de la recherche scientifique, ne fonctionnent tout simplement pas. Ils veulent savoir si les interventions qu'ils soutiennent vont produire plus d'effets bénéfiques que des effets secondaires nuisibles.
La répression policière
À elle seule, la répression n'a aucun effet. Bien que cette façon de s'attaquer au problème des gangs de jeunes soit la plus connue et la plus pratiquée, elle s'est avérée moins efficace que des stratégies axées sur la prévention et l'intervention (Decker, 2007).
L'emprisonnement
Il en est de même pour l'emprisonnement : la prison, à elle seule, ne donne pas les résultats souhaités. On reconnaît aujourd'hui que si les établissements correctionnels ne réussissent que rarement à réhabiliter les détenus, ils contribuent à les criminaliser, favorisent la récidive et entretiennent le cercle vicieux des libérations suivies d'une réincarcération (Nations Unies, 2006). Plusieurs études ont montré que les membres de gangs de jeunes, après la sortie de prison, récidivent plus souvent que les autres détenus (Benda et Tollett, 1999; Tollett et Benda, 1999; Benda et coll., 2001; Arizona Department of Juvenile Corrections Research and Development et The National Council on Crime and Delinquency, 2002 – cité dans Olson et coll., 2004).
Les intervenants de rue
Les programmes faisant appel à des intervenants de rue fournissent des services et du soutien aux membres de gangs dans leur propre environnement (Thornberry, 2002). Selon Malcolm Klein (1968), dont les travaux dans ce domaine ont fait école, les premières versions de ce type de programme ont contribué à augmenter la criminalité des gangs. Il s'est en effet avéré que les intervenants de rue, sans s'en rendre compte, renforçaient la cohésion des gangs, au lieu de la briser. Toujours selon Klein (1995 :137) :
« En ce qui concerne l'effet des efforts de prévention, il y a lieu de tenir compte de l'importance du statut et de l'identité pour les membres potentiels des gangs. Tout programme de prévention qui vise des membres potentiels de gangs et qui en fait l'objet de son attention risque de créer les problèmes qu'il est censé prévenir. Des programmes mis en place dans le passé à Chicago, Boston et Los Angeles ont abouti à ce résultat ».
Howell (2000 : 16) abonde dans le même sens. Bien que les avis des chercheurs sur l'efficacité de l'approche basée sur l'intervention de rue soient partagés, « il faut conclure que les intervenants de rue, à eux seuls, n'ont pas réussi à produire des résultats positifs ».
Le programme G.R.E.A.T. (Gang Resistance Education and Training)
Le programme G.R.E.A.T. vise à prévenir l'implication des jeunes dans des gangs et dans la délinquance. Il s'agit d'un cours de formation en milieu scolaire, dispensé par des officiers de police. Selon le site Web officielFootnote 3, le programme a été développé en 1991 par un partenariat comprenant les services de police de la ville de Phoenix et le United States Bureau of Alcohol, Tobacco, Firearms and Explosives. C'est le programme D.A.R.E (Drug Awareness Resistance and Education) qui a servi de modèle : un programme très populaire, mais peu efficace. G.R.E.A.T. constitue un exemple de prévention primaire, s'adressant aux jeunes en général, sans cibler des membres actifs de gangs ou des jeunes à haut risque. Il comporte quatre volets : un programme pour l'école primaire, un pour l'école secondaire, des sessions de formation pour les parents et un programme d'été. Les 13 sessions qui ciblent les élèves des écoles secondaires en constituent l'élément principal et obligatoire.
Selon les résultats d'une étude d'évaluation longitudinale de cinq ans, le programme G.R.E.A.T. a réussi à sensibiliser les participants aux conséquences d'une implication dans des gangs et à modifier quelque peu leurs attitudes envers la police, sans toutefois pouvoir réduire le nombre de jeunes qui font partie d'un gang et la délinquance qui s'en suit (Esbensen, 2004).
Klein et Maxson (2006 : 101) affirment que quatre facteurs sont responsables de l'échec du programme G.R.E.A.T. :
- Le programme est fondé non sur des mesures de ses impacts mais sur la perception de l'efficacité de la formation des poli-ciers en milieu scolaire.
- Le programme se base sur l'idée, que l'absence de certaines attitudes et habiletés fondamentales (life skills) inciterait à l'implication dans un gang.
- Le contenu du programme ne tient pas compte des connaissances disponibles actuellement sur les gangs de jeunes, et
- Le programme ne cible pas les jeunes plus à risque d'adhérer à un gang.
Des approches prometteuses
Le programme OJJDP ou modèle de Spergel
Parmi les programmes qui ciblent les gangs de jeunes, le « Comprehensive Community-Wide Gang Model » mis en pace aux États-Unis par le OJJDP (Office of Juvenile Justice and Delinquency Prevention) est actuellement un des plus connus et aussi celui qui a fait l'objet de nombreuses évaluations. Il s'agit d'une approche équilibrée, articulée en trois volets basés respectivement sur la prévention, l'intervention et la répression. Malgré ses limitesFootnote 4, il y a des leçons à tirer de ce modèle, en particulier pour ceux qui seraient tentés de s'en inspirer.
Un bref historique
Entre 1987 et 1991, Irving Spergel et ses collègues de l'université de Chicago ont répertorié et analysé les politiques et pratiques mises en œuvre aux États-Unis par différentes agences pour combattre les gangs de jeunes (Spergel et coll., 2003). Sur la base de cette analyse, Spergel a développé un modèle global pour prévenir et réduire la criminalité et la violence émanant des gangs de jeunes. Un projet-pilote, basé sur ce modèle, a été réalisé en 1992 dans un quartier de Chicago appelé Little Village.
Après avoir subi quelques modifications, ce projet aboutit à la création, en 1995, du Comprehensive Community-Wide Gang Model du OJJDP. Dans un premier temps, ce programme a été mis en place et testé dans 5 endroits : Bloomington-Normal, Illinois; Mesa, Arizona; Riverside, California; San Antonio, Texas; et Tucson, Arizona. Il a été ensuite implanté, sous l'égide du OJJDP, dans 25 collectivités urbaines et rurales.
Les éléments clés du modèle
Le modèle de l'OJJDP (ou modèle de Spergel), qui vise l'affiliation des jeunes à des gangs ainsi que les communautés dans lesquelles ils agissent, comprend les cinq stratégies suivantes (Burch et Kane, 1999; Wyrick, 2005):
- La mobilisation de la communauté, de la population locale, de la jeunesse, des organismes et groupes communautaires et des dirigeants a) en vue de planifier, renforcer ou créer de nouvelles opportunités, en collaboration avec des organisations existantes, pour des jeunes affiliés à des gangs ou à risque de le devenir; b) pour coordonner les programmes et services ainsi que les fonctions du personnel à l'intérieur et entre les différentes agences concernées.
- L'intervention sociale répond aux besoins identifiés par les travailleurs de proximité et consiste: a) à fournir des programmes et services sociaux (par le biais des agences au service des jeunes, des écoles, d'organisations religieuses ou autres) aux jeunes appartenant à des gangs ou à risque de le devenir, et b) à utiliser les travailleurs de proximité pour obtenir un engagement actif de la part des jeunes affiliés aux gangs.
- La création d'opportunités, dispensant et facilitant l'accès à des programmes de formation scolaire et professionnelle, ou à des services destinés aux membres d'un gang ou aux jeunes à risque de le devenir.
- La répression comprend : a) les actions menées par les instances du contrôle social formel et informel, b) le fait de rendre les membres de gangs de jeunes responsables de leurs actions et comportements, et c) la surveillance des gangs de jeunes par les agences de la justice pénale, les organismes communautaires, les écoles et par les groupes locaux (grass-roots groups).
- Le changement et le développement au sein des organisations permettent aux organismes et agences communautaires a) de mieux s'attaquer au problème des gangs, b) de résoudre les problèmes en équipe, conformément à la philosophie des politiques publiques axées sur la communauté et ses problèmes, et c) de développer et de mettre en place des politiques et des processus par lesquels les ressources disponibles sont utilisées de la façon la plus efficace.
Les résultats de l'évaluation
En ce qui concerne le projet réalisé au Little Village de Chicago, Spergel (2007: 357) résume les résultats de l'évaluationFootnote 5 comme suit :
« Chez les jeunes participant au programme, la fréquence des arrestations pour l'ensemble des actes de violence, pour des actes de violence graves et pour des délits reliés aux drogues, a diminué davantage que chez les jeunes du groupe témoin. Il en est de même pour les « quasi-participantsFootnote 6 », qui ont commis moins d'actes de violence pendant la période de participation au programme, en comparaison avec la période avant le programme. La réduction du nombre d'arrestations pour des actes de violence graves était de 60% plus élevée chez les participants que chez les non participants, dans le groupe d'âge des 17 à 18 ans, après avoir contrôlé les effets d'autres variables. Le programme a exercé un effet général et uniforme, en réduisant la fréquence des arrestations pour des actes de violence sérieux chez les participants de tout âge, en comparaison avec les quasi-participants et les non participants. Le programme a été particulièrement efficace pour ce qui est de la réduction des délits reliés aux drogues : tandis que celle-ci a sensiblement diminué chez les participants, elle a augmenté chez les quasi-participants et les non participants. En ce qui concerne les arrestations pour d'autres types de délits (harcèlement, comportement dérangeant et obstruction à l'action de la police), les différences entre les groupes n'étaient pas statistiquement significatives. Sur l'ensemble des délits (la plupart du temps des infractions contre la propriété), aucune différence dans la réduction du nombre d'arrestations n'a été constatée. Les réductions les plus significatives pour tous les types de délit ont été observées chez les jeunes de 19 ans et plus dans les trois groupes, et plus particulièrement dans le groupe des participants au programme ».
Il faut toutefois mentionner que l'application de ce modèle en a en même temps montré les limites. En 1997, un rapport d'évaluation intermédiaire a fait état d'un démarrage lent du programme dans les cinq sites mentionnés ci-dessus, ainsi que de plusieurs problèmes sérieux dans sa mise en œuvre. On y constatait en particulier que les responsables du programme n'avaient pas réussi à transmettre clairement le message aux villes qui y participaient. L'exposition la plus claire du modèle de Spergel n'a été disponible que trois ans et demi après le début du programme, bien après la mise en œuvre du programme dans le quartier de Little Village (Klein et Maxson, 2006).
Klein et Maxon (2006) font en outre remarquer que la complexité inhérente à l'application du modèle de Spergel va bien au-delà des ressources et des compétences disponibles dans les sites ou le programme a été implanté. Selon ces auteurs, le modèle « est complexe, dans la mesure où il veut être à la fois l'énoncé d'une approche conceptuelle et théorique et un guide pour sa mise en œuvre. Comme le suggère le nom du programme (comprehensive community-wide) et contrairement à d'autres approches, le modèle de Spergel veut tout faire. Il met dans un même et unique sac la prévention, l'intervention et la répression. » (Klein et Maxson, 2006: 120).
Il faut souligner enfin les pressions politiques (par exemple le bureau du maire souhaitant mettre en place un programme axé exclusivement sur la répression) et les obstacles organisationnels. Ceci pour rappeler que certains problèmes faisant obstacle au développement et/ou à l'implantation d'un programme doivent êtres identifiés et résolus bien avant sa mise en œuvre. À mentionner, parmi ces obstacles, « des rivalités internes, des structures organisationnelles mal définies, le manque de leadership, des objectifs ambigus, des attitudes conflictuelles au sein de la communauté, des difficultés de recrutement, un haut niveau de rotation dans les équipes d'intervention ou autres groupes de travail, une représentation déséquilibrée des organismes communautaires, des processus de résolution des conflits inadéquats, et une fragmentation des efforts consentis » (Office of Juvenile Justice Delinquency Prevention, 2002: 63).
Spergel lui-même (2007 : 327) nous met en garde : « Dans la mesure où ils demandent des changements institutionnels, les projets de ce type sont très vulnérables à l'échec. Peu de programmes innovateurs, même s'ils s'avèrent efficaces, réussissent à survivre ou à se développer ultérieurement, à moins qu'ils se mettent au service d'intérêts politiques et organisationnels importants ».
Le « Boston Gun Project » et l'Opération « Cessez-le-feu »
Un bref historique
Le « Boston Gun Project », développé au milieu des années 90 dans le cadre d'une approche de police de résolution de problèmes (problem-oriented policing), a été conçu comme une intervention en vue de réduire les homicides commis par les jeunes et les actes de violence impliquant des armes à feu à Boston. Amorcé au début de l'année 1995, ce projet a été mis en place sous le nom de « Opération Cessez-le-feu » au printemps 1996.
Cette initiative a vu le jour grâce à un partenariat regroupant des représentants du milieu universitaire et des praticiens, travaillant de concert pour poser un diagnostic relatif au problème des homicides commis par les jeunes à Boston, et pour mettre en place une solution adéquate. Ce sont le département de police de Boston et des chercheurs de l'université d'Harvard, initiateurs du projet, qui ont contacté des agences du système de la justice pénale et des services sociaux ainsi que d'autres organismes intéressés pour qu'ils participent à des groupes de travail et soutiennent une démarche basée sur la recherche. Au début, ce partenariat comprenait : le département des libérations conditionnelles, les travailleurs de rueFootnote 7 (streetworkers), l'office du Suffolk County District Attorney, le bureau fédéral pour l'alcool, le tabac et les armes à feu, le département des services à la jeunesse et la City of Boston School Police.
Les éléments clé du projet
L'Opération Cessez-le-feu comprend deux composantes stratégiques :
- une attaque frontale et rapide contre les trafiquants qui fournissent des armes à feu illégales aux jeunes, et
- une stratégie de dissuasion utilisant tous les moyens disponibles (pulling levers) pour prévenir la violence des gangs de jeunes en visant les meneurs.
Cette dernière stratégie cible plus particulièrement les membres des gangs les plus violents, c'est-à-dire un nombre restreint de délinquants chroniques affiliés à un gang et responsables d'une grande partie des actes de violence et des homicides perpétrés à Boston. Il s'agit notamment de (National Institute of Justice, 2001: 2):
- cibler les gangs impliqués dans des crimes violents,
- appréhender ouvertement les membres des gangs visés,
- faire passer directement le message que la violence ne sera tolérée dans aucune circonstance,
- renforcer le message, en tirant sur tous les leviers légalement disponibles (par exemple par une application rigoureuse des sanctions et dispositions légales en matière de police, de poursuite criminelle et de libération conditionnelle) lorsque des actes de violence ont lieu.
Parallèlement aux efforts déployés au niveau de la répression, la ville de Boston, fidèle à sa nouvelle stratégie axée sur la police de proximité, a réalisé de nombreux projets de prévention et d'intervention. La ville a notamment créé un réseau de services continus, en s'appuyant sur les services existants et sur la collaboration de partenaires communautaires.
Parmi les programmes et interventions ciblant les jeunes à risque, mis en place en même temps que l'Opération Cessez-le-feu, mentionnons à titre d'exemple le programme « Boston Community Centers' Streetworkers » et le « Youth Services Providers Network ». Dans le cadre du premier, une coalition des services sociaux de Boston, les agents des services de probation et, plus tard, les églises et d'autres groupes communautaires, offrent aux membres des gangs des services et de l'assistance (Braga et coll., 2002). Le deuxième programme, développé et mis en place par un partenariat d'organisations d'aide à la jeunesse et d'agences municipales, vise la prévention des fugues et du décrochage chez les adolescents par le mentorat, la formation professionnelle, le tutorat et le développement de compétences en leadership.
Les interventions effectuées dans le cadre de l'Opération Cessez-le-feu constituent une stratégie globale pour faire face à la violence armée et à la violence des gangs. Adaptée aux objectifs d'une plus grande collaboration entre les services, aux particularités des problèmes reliés à la violence des jeunes à Boston et aux compétences spécifiques disponibles, l'Opération Cessez-le-feu a ensuite été intégrée dans une stratégie plus large de réduction de la criminalité en ville de Boston.
Les résultats des études d'évaluation
Selon une étude d'évaluation basée sur l'utilisation de modèles linéaires généralisés, qui permettent de contrôler l'influence de tendances et de variations saisonnières, l'Opération Cessez-le-feu a eu comme effet une réduction statistiquement significative (- 63%) de la fréquence mensuelle des homicides commis par des jeunes, des appels à la police concernant des coups de feu (- 32%), ainsi que des attaques à main armée (- 25%) à Boston. Dans le district de Roxbury, le quartier le moins sécuritaire de la ville, on a observé une diminution des attaques à main armée perpétrés par des jeunes de 44% (National Institute of Justice, 2001). Même après avoir contrôlé l'effet d'autres facteurs ayant pu contribuer à une telle réduction (comme les changements du taux d'emploi, du nombre de jeunes résidant à Boston, du taux de crimes violents, etc.), l'Opération Cessez-le-feu a réussi à faire diminuer de façon significative le nombre mensuel d'homicides et autres actes de violence graves, commis par des jeunes (Kennedy, Braga et Piehl, 2001).
Les tendances relatives au nombre d'homicides commis par des jeunes à Boston ont en outre été comparées avec celles qui sont enregistrées au niveau régional et national dans 29 grandes villes de la Nouvelle-Angleterre et des États-Unis. Cette comparaison a montré que les effets constatés étaient associés à l'intervention (Braga, Kennedy, Waring, et Piehl, 2001).
Les chercheurs reconnaissent toutefois qu'il n'est pas possible « d'identifier avec certitude ce qui a causé la diminution du nombre d'homicides commis par des jeunes à Boston ou de savoir quel rôle a joué l'Opération Cessez-le-feu (...). Étant donné que ce programme a été conçu pour briser la dynamique de violence dans laquelle l'ensemble des gangs et ses membres étaient impliqués, il n'a pas été possible d'en évaluer les effets au moyen d'un plan d'expérience, en excluant certains gangs ou quartiers pour pouvoir effectuer des comparaisons » (Kennedy, Braga et Piehl, 2001: 43).
Le partenariat pour la réduction de la violence chez les jeunes de Philadelphie (YVRP, Philadelphia's Youth Violence Reduction Partnership)
Un bref historique
En tirant des leçons de l'expérience réalisée à Boston, relativement à la collaboration entre différents services et à la combinaison de mesures de soutien et de surveillance intensive, les représentants des agences de la justice pénale et de la protection de la jeunesse de Philadelphie ont décidé d'adopter, à titre d'essai, une stratégie similaire, dans le but de « réduire considérablement le nombre d'homicides perpétrés par des jeunes » dans leur ville. Ces considérations ont abouti à la mise en œuvre du partenariat pour la réduction de la violence chez les jeunes (Youth Violence Reduction Partnership, YVRP).
Établi en 1999, le YVRP est un partenariat regroupant des agences de la justice pénale (comme la police et la commission des libérations conditionnelles) et des organismes au service de la jeunesse (comme les travailleurs de rue). L'objectif visé par ce partenariat consiste à réduire l'incidence des homicides perpétrés par les jeunes au moyen d'une surveillance intensive et d'une palette de services de soutien pour des enfants et des jeunes âgés de 7 à 24 ans à risque de tuer ou d'être tués (McClanahan, 2004). La plupart des jeunes sont sous la supervision du tribunal pour des infractions relatives aux drogues ou pour des délits violents. Le programme sert de liaison entre les participants et l'école, le travail et les organismes de soutien psychologique, tout en s'assurant qu'ils respectent les conditions de libération conditionnelle.
Les éléments clés
La stratégie du partenariat comprend les éléments suivants :
- l'identification de jeunes partenaires, âgés de 14 à 24 ans, qui, suite à un consensus entre les agences impliquées, seraient prêt à recevoir de l'aide,
- mettre en relation les jeunes avec des services et des programmes de soutien, au moyen de travailleurs de rue qui développent des relations personnelles avec les jeunes partenaires,
- une surveillance intensive des jeunes partenaires par des équipes d'agents de police et de probation,
- un système de sanctions graduelles en cas de non-respect de l'entente, allant jusqu'au retour en prison, et
- l'abolition des armes à feu par une politique de tolérance zéro vis-à-vis des jeunes partenaires possédant ou utilisant un pistolet ou un fusil.
Le modèle YVRP se base sur deux éléments principaux (McClanahan, 2004) :
- Davantage de supervision et de monitorat. Les travailleurs sociaux, la police et les agents de probation partagent la responsabilité de la surveillance intensive à laquelle les participants au programme sont soumis. Les officiers de police et de probation rendent visite aux participants et à leur famille au moins quatre fois par mois, à la maison et à leur lieu de travail. Les agents de probation se chargent de deux visites supplémentaires ou plus au lieu de résidence des participants, au travail ou à l'école. En outre, les agents de probation planifient des rencontres formelles avec les participants, qui ont lieu dans les bureaux de l'agence de probation. Les travailleurs de rue essaient, de leur part, de rendre visite aux participants huit fois par mois dans des espaces publics et huit fois à la maison.
- Davantage de soutien. Les agents de probation et les travailleurs sociaux partagent la responsabilité d'établir des liens entre les participants et leurs familles en fournissant des services de soutien concernant l'école, le logement, l'emploi, les soins de santé et les traitements pour abus de substances.
Résultats des études d'évaluation
Selon McClanahan (2004 : 3), « les résultats préliminaires montrent que le programme YVRP semble pouvoir endiguer le nombre d'homicides et garder en vie des jeunes et jeunes adultes à haut risque dans les quartiers ciblés ». D'autres études sont toutefois nécessaires pour évaluer l'efficacité de ce modèle.
Les bonnes pratiques en prévention de la délinquance
Bien souvent, les chercheurs et les praticiens travaillant dans le domaine des gangs font preuve d'un manque de connaissance, dans la mesure où ils ne tiennent pas compte des connaissances développées par les sciences sociales et par d'autres disciplines scientifiques (Short et Hughes, 2006). Il est toutefois indispensable que les résultats et les progrès accomplis en criminologie et dans d'autres domaines soient directement intégrés aux efforts consentis pour contrer les gangs de jeunes. Actuellement, les résultats de plusieurs études (par exemple, Shaw, 2001; Greenwood, 2005; Farrington et Welsh, 2007; Welsh et Farrington, 2007) nous ont fourni la preuve que les conditions dans lesquelles les enfants et les jeunes grandissent exercent une influence cruciale sur leur santé mentale et physique, ainsi que sur leur développement affectif, social et intellectuel. La qualité des soins reçus pendant la prime enfance et les relations avec les parents et la famille sont particulièrement importantes. Ces résultats, au même titre que les études sur les facteurs de risque et de protection relatifs à la délinquance en général, ont des implications qui ne sauraient être ignorées, lorsqu'il s'agit de développer et de mettre en place des réponses efficaces aux problèmes posés par les gangs de jeunes.
Selon Sullivan (2006 : 35), « le temps est venu d'abandonner l'approche selon laquelle l'étude des gangs constitue un domaine de recherche indépendant et d'aborder les problèmes de la violence des jeunes et des comportements collectifs des jeunes dans un contexte plus large ». Il existe en effet plusieurs bonnes pratiques en prévention de la délinquance, qui pourraient être utilisées pour contrer le problème des gangs de jeunes. En voici deux exemples.
La thérapie multi-systémique (TMS)
Aperçu
La thérapie multi-systémiqueFootnote 8 est un modèle de traitement intensif en milieu familial et communautaire visant les facteurs associés aux comportements criminels et antisociaux des adolescents et de leurs familles. Elle cible des jeunes délinquants des deux sexes, âgés de 12 à 17 ans, ainsi que leurs familles. La TMS se propose en premier lieu de réduire les problèmes reliés au comportement antisocial et autres problèmes cliniques chez les adolescents, de diminuer le nombre de placements dans des services d'accueil et de renforcer les ressources de la famille pour gérer des situations difficiles dans le futur. Ces objectifs sont atteints en développant chez les parents les compétences et les ressources nécessaires pour éduquer les adolescents et en fournissant aux jeunes les moyens pour faire face aux problèmes et défis au niveau de l'individu, de la famille, des pairs, de l'école et du quartier (Henggeler, 1998; Center for the Study and Prevention of Violence, 2006).
Le modèle de la TMS prévoit une livraison des services à domicile. Ceci permet entre autres d'éviter les obstacles relatifs à l'accès aux services, d'accroître la participation de la famille et sa persévérance à suivre le traitement, de faciliter l'administration de traitements intensifs par des thérapeutes avec peu de dossiers, et d'assurer la persistance des progrès accomplis. Les individus sont considérés comme étant situés dans un réseau complexe de systèmes interconnectés, incluant des facteurs individuels, familiaux et extrafamiliaux (comme les pairs, l'école, le quartier, la communauté). Une intervention peut donc s'avérer nécessaire dans l'un ou l'autre système, voire dans une combinaison de ces systèmes. La TMS se propose enfin de promouvoir des changements dans le milieu naturel des jeunes, en utilisant les ressources propres à chacun des systèmes (Henggeler, 1998; Center for the Study and Prevention of Violence, 2006).
Les objectifs du traitement sont définis, pour chaque client, en collaboration avec la famille, les ressources de celle-ci étant utilisées comme levier pour induire des changements. Bien que l'intensité, la fréquence et la durée du traitement dépendent des besoins du client et de sa famille, la durée de la TMS est en général de 60 heures de session sur une période de quatre mois.
Évaluation
La TMS est basée sur des thérapies (comme les thérapies du comportement cognitif et les thérapies familiales pragmatiques), dont les effets ont été validés par la recherche. Il s'agit d'une approche thérapeutique qui s'est avérée efficace dans le traitement de jeunes délinquants chroniques, responsables d'actes de violence graves. Des études ayant évalué les effets de la TMS sur les jeunes délinquants (voir par exemple Henggeler et coll., 1998) ont montré:
- des réductions du taux de ré-arrestations à long terme entre 25% et 70%,
- des réductions des placements dans des services d'accueil de 47 à 64%,
- une amélioration substantielle du fonctionnement de la famille, et
- une diminution des problèmes de santé mentale chez les jeunes délinquants.
Par contre, selon une étude réalisée au Canada au moyen d'un plan expérimental avec randomisation et un suivi de quatre ans (Leschied et Cunningham, 2002; Cunningham, 2002), la TMS n'a aucun effet sur les variables indépendantes considérées, les résultats ne présentant aucune différence significative entre le groupe expérimental et le groupe témoin.
Il faut souligner enfin que la TMS a obtenu des résultats positifs en ce qui concerne le rapport coûts bénéficesFootnote 9, comparativement à des types d'intervention plus traditionnels comme l'incarcération et les traitements en institution.
Le programme Wraparound Milwaukee
Aperçu
Le programme Wraparound Milwaukee est un exemple de l'approche dite « enveloppante ».Footnote 10 Il s'agit d'un système de soins individualisés en milieu communautaire destiné aux enfants et aux jeunes avec des problèmes sérieux de santé mentale, d'affectivité et de comportement, ainsi qu'à leurs familles. La philosophie sous-jacente à cette approche consiste à identifier de façon minutieuse les services et soutiens dont la famille a besoin et à dispenser de tels services aussi longtemps que nécessaire. Le programme Wraparound a été mis en place dans différents secteurs comme le bien-être de l'enfant, la formation scolaire, la justice des mineurs et la santé mentale (Burchard et coll., 2002).
Cette approche repose sur l'identification des services, dont les familles doivent disposer pour pouvoir prendre soin d'un enfant aux besoins particuliers. Une fois identifiées les ressources personnelles, communautaires et professionnelles aptes à satisfaire de tels besoins, le programme « enveloppe » en quelque sorte l'enfant et sa famille dans ces services. Les jeunes peuvent être inscrits à ce programme par des agents de probation ou par des représentants des organismes d'aide à l'enfance. Le programme cible les enfants qui remplissent les critères suivants :
- ils souffrent de troubles mentaux identifiés au moyen d'un outil d'évaluation,
- ils sont pris en charge par deux ou plusieurs agences de santé mentale, de protection des enfants ou de la justice des mineurs,
- ils sont sur le point d'être placés dans un centre de traitement résidentiel, et
- ils peuvent quitter une telle institution plus tôt que prévu, si un plan et des services « enveloppants » sont disponibles.
Si les responsables du programme “Wraparound Milwaukee” considèrent que l'inscription est justifiée, les jeunes participent au programme sur ordre du tribunal. Le programme comprend la coordination des soins dispensés, une équipe enfant et famille (child and family team, CFT), une équipe de crise mobile et un réseau de fournisseurs de services.
Évaluation
À ce jour, plusieurs études d'évaluation sont venues confirmer l'efficacité du programme Wraparound. Par exemple, selon les résultats de deux études basées sur des plans d'expérience cliniques avec randomisation, réalisées à New York et en Floride, le programme a eu des effets positifs sur les enfants et les jeunes y ayant participé. On a observé par exemple une diminution des symptômes comportementaux, des problèmes cognitifs et du taux de délinquance (Evans et coll., 1998; Clark et coll., 1998). Une autre évaluation du programme Wraparound Milwaukee a montré que celui-ci a réussi à améliorer sensiblement le fonctionnement des jeunes délinquants à la maison, à l'école et dans la communauté (Milwaukee County Behavioral Health Division, 2002).
Les leçons à tirer et les ingrédients de stratégies prometteuses
Une revue des études et pratiques nous a permis d'identifier les caractéristiques des programmes qui sont à même d'améliorer l'efficacité de la prévention, de l'intervention et de la répression en matière de gangs de jeunes. Dans les paragraphes qui suivent, nous allons présenter les éléments clé, ou ingrédients, d'approches prometteuses.
La planification stratégique
Une planification efficace et globale constitue la pierre angulaire du développement et de l'implantation d'un bon projet ou programme. Grâce à une planification adéquate, il est possible d'améliorer la coordination et la coopération, d'envisager une approche multidisciplinaire et multisectorielle des problèmes relatifs aux gangs de jeunes, d'affecter les ressources humaines et financières de façon plus efficace et de mieux définir les objectifs et les priorités du programme. Une planification rigoureuse permet également d'identifier les problèmes et les besoins d'une collectivité, d'établir les priorités et d'éviter un dédoublement des services et ressources fournis.
Un diagnostic précis et approfondi
La nature et l'envergure des gangs de jeunes peuvent varier sensiblement d'une collectivité à l'autre et même à l'intérieur d'une collectivité. Les connaissances relatives aux gangs de jeunes dans tel quartier ou telle communauté, doivent donc être complétées par des informations recueillies dans le cadre d'un diagnostic au niveau local (Wyrick et Howell, 2004).
Les efforts consentis par une communauté devraient toujours commencer par un diagnostic précis et approfondi des gangs de jeunes, de la criminalité, de la victimisation et des problèmes connexes. À défaut d'un tel état des lieux préliminaire, il est peu probable que le développement et la mise en œuvre d'une stratégie efficace soient couronnés de succès.
Il importe également que le diagnostic envisagé corresponde aux compétences des agences et des personnes impliquées. Selon Kennedy, Braga et Piehl (2001: 47), « le processus par lequel on arrive à rendre compte du problème en tenant compte des données politiques et opérationnelles - et non seulement des données causales et historiques - peut constituer un élément important de la résolution de ce même problème ».
Plusieurs outils et ressources sont actuellement disponibles pour aider les communautés à évaluer la nature et la portée des problèmes reliés aux gangs de jeunes, et à planifier des stratégies appropriéesFootnote 11.
Des approches globales et intégrées
On reconnaît généralement qu'aucune mesure ou approche en prévention du crime ne peut, à elle seule, réduire ou prévenir sensiblement le taux de criminalité. Compte tenu des particularités de chaque collectivité et de la diversité des gangs de jeunes, il n'existe ni de solution-miracle ni de programmes de type « prêt-à-porter ». Dans la plupart des cas, les approches les plus efficaces sont celles qui intègrent en un même programme des activités de prévention, d'intervention et de répression. La répression à elle seule, par exemple, n'est pas efficace, si elle n'est pas intégrée dans une stratégie plus globale et plus large.
Des arguments théoriques au même titre que les résultats fournis par les études d'évaluation parlent en faveur d'approches globales et à long terme, comme la collaboration multi-agences ou multisectorielle, voire la combinaison de prévention, intervention et répression. Ce sont de telles approches qui agissent efficacement sur les problèmes inhérents aux gangs de jeunes auxquels sont confrontées les communautés (Wyrick et Howell, 2004; voir aussi Maxson et Klein, 2006). Il faut toutefois tenir compte du fait que le développement et l'implantation d'une approche globale n'est pas à la portée de n'importe quelle collectivité ou juridiction, ceci pour des raisons tout à fait légitimes. Une alternative viable consiste à s'attaquer au problème des gangs de jeunes au moyen d'une stratégie basée sur les risques (Wyrick et Howell, 2004).
Une stratégie basée sur les risques comprend trois éléments clés :
- des connaissances générales des gangs de jeunes et une bonne perception des problèmes relatifs aux gangs de jeunes et problèmes connexes au niveau local,
- une connaissance des facteurs de risque et de protection qui influencent l'apparition et la persistance des problèmes locaux provoqués par les gangs de jeunes et par la violence des jeunes,
- la mise en place de politiques publiques et de pratiques de pointe pour faire face aux gangs de jeunes.
Selon Wyrick et Howell (2004: 20), « une fois identifiés les problèmes locaux les plus aigus et leur relation avec des facteurs de risque spécifiques, la communauté sera mieux outillée pour développer des stratégies ciblant les causes profondes de ces problèmes ».
Les approches multisectorielles et multi-agences
Les facteurs qui déterminent le risque, pour des jeunes, de s'impliquer dans des gangs sont à la fois multidimensionnels et reliés entre eux. Il est donc essentiel d'adopter une approche transversale, faisant appel à plusieurs acteurs clés de la communauté : des partenaires et représentants du système de la justice pénale (police, procureurs, agents de probation, services aux victimes, etc.), des services de logement et de loisirs, des services sociaux, de la protection de la jeunesse, des écoles, des agences de santé, des groupes religieux, des organismes communautaires et des bénévoles.
La collaboration entre plusieurs agences, qui permet entre autres d'éviter la fragmentation des services, comprend quatre éléments clés (Osher, 2002):
- un consensus sur les objectifs communs et une mutualité institutionnelle,
- une structure développée conjointement et le partage de responsabilités.
- une autorité mutuelle et une obligation de rendre compte des résultats obtenus, et
- un partage des ressources et des bénéfices.
Il est important de définir clairement, dès le départ, quels sont les rôles et les responsabilités de chacun des partenaires.
La mise en place d'une instance de direction et de coordination
Dès le début, il importe de mettre en place une agence centrale de direction (ou un groupe inter agences, ou un organisme communautaire), dont le rôle consiste à administrer les fonds, à coordonner les différentes composantes du programme et à superviser l'avancement de la mise en œuvre et de l'évaluation des résultats. Selon Kennedy, Braga et Piehl (2001: 45), « il va de soi que des problèmes différents dans des contextes différents demandent des arrangements différents. L'application d'une approche basée sur la résolution de problèmes demande toutefois la création d'un organisme responsable.
Dans le cas de l'Opération Cessez-le-feu, que nous avons présenté ci-dessus, il n'y avait, dans un premier temps, aucune instance de direction : « bien que la police, les agents de probation, les travailleurs de rue, et d'autres encore, trimaient dur, leurs efforts s'éparpillaient. Il n'y avait aucune personne ni groupe responsable des actions menées pour contrer le problème de la violence chez les jeunes à Boston » (Kennedy, Braga et Piehl, 2001: 13).
En ce qui concerne le modèle de Spergel, l'agence de direction était la police. Mais il n'est pas nécessaire qu'il en soit ainsi. D'autres organismes ou agences communautaires peuvent en principe assumer ce rôle.
Se référant au modèle de Spergel, Klein et Maxson (2006) remarquent qu'une telle approche ne saurait être mise en place avec succès en l'absence d'un coordinateur compétent et expérimenté, présent sur le terrain, dont le rôle consiste à gérer et à superviser les personnes et agences impliquées.
Des cibles appropriées et différents niveaux d'intervention
Selon Klein et Maxson (2006), le terme « cibler » dénote l'action de déterminer quel type de jeunes ou quels groupes de jeunes un programme se propose d'atteindre. Dans une perspective de prévention, cela revient à identifier le plus tôt possible les jeunes et les groupes de jeunes dont on peut penser qu'ils vont s'affilier à des gangs. Klein et Maxson (2006 : 249) remarquent à ce propos :
« Plus la définition des cibles est large, moins le programme est efficace. C'est pour cette raison qu'il est essentiel pour une approche préventive de disposer de connaissances sur les facteurs de risque, au niveau des individus, et sur les structures de la criminalité, au niveau des groupes. L'un et l'autre nous aide à concentrer l'action sur les jeunes, les groupes et les communautés qui produisent le plus de problèmes. Dans le cadre de mesures de prévention, d'intervention ou de répression, le problème inhérent à la définition d'une cible est en réalité celui d'identifier la bonne cible : ce qui exige des connaissances sur les gangs en général et sur les gangs agissant au niveau local en particulier. Avant de développer un programme pour le contrôle des gangs, il importe donc de disposer tout d'abord de données génériques et de recueillir ensuite des données sur la situation locale ».
Idéalement, les stratégies développées pour s'attaquer au problème des gangs de jeunes devraient couvrir à la fois le niveau micro (les individus affiliés à un gang) et le niveau macro (les gangs). Toutefois, selon Klein et Maxson (2006), la plupart des programmes et stratégies ne considèrent que l'un ou l'autre de ces aspects.
Klein et Maxson (2006: 249) affirment que les stratégies les plus efficaces en matière de prévention, d'intervention et de répression sont celles qui tiennent compte des processus de groupe en général et des processus spécifiques aux gangs de jeunes. Il importe également de faire la distinction entre les différents types de structures qui caractérisent les gangs. Certes, nous disposons de plusieurs typologies de gangs (voir, par exemple, Klein et Maxson, 2006). Le fait est qu'il existe des différences entre les gangs de jeunes. Klein et Maxson (2006 : 250) affirment que chaque gang « a tendance à recruter différentes sortes de membres et à réagir de façon différente aux stratégies de contrôle dont ils font l'objet. Si l'on ne tient pas compte de ces différences, les programmes n'auront aucun effet ou alors ils vont empirer la situation ».
Conclusion
Nos connaissances en matière de gang de jeunes sont somme toute assez limitées. Par exemple, nous n'avons pas de connaissances approfondies sur les programmes qui ciblent des populations spécifiques avec des besoins diversifiés. En particulier, il faudrait plus de recherches sur l'efficacité des stratégies qui visent les besoins des femmes, des autochtones, des membres de groupes ethniques impliqués dans des gangs de jeunes. Il faudrait également explorer davantage les relations entre gangs de jeunes et groupes criminels d'adultes, ainsi que les différences, voire les similitudes, entre les gangs des agglomérations urbaines et celles qui agissent dans les banlieues ou les zones rurales.
Selon Short et Hughes (2006 : 11), « nous avons besoin de mieux connaître les processus responsables de la formation de gangs, de leur identité et leur comportement, ainsi que les processus d'adaptation individuelle et de groupe, ceci à différents niveaux d'analyse. Il faut également consacrer plus d'attention aux liens dynamiques entre les gangs, les membres de gangs et leur environnement physique et social ». Malheureusement, encore une fois, le crime et la violence sont considérés par la recherche comme les seuls aspects des gangs de jeunes et de leur comportement dignes d'intérêt (Hughes, 2006).
Malgré les nombreux projets, programmes et autres stratégies développées et mises en place pour contrer les gangs de jeunes, force est de constater que la diversité et la complexité du problème des gangs de jeunes représentent un défi de taille, imperméable aux solutions simplistes et basées sur une seule approche (Wyrick et Howell, 2004).
Si nous voulons augmenter nos chances de succès, la recherche et les études d'évaluation se doivent d'analyser la diversité des gangs de jeunes, de comparer l'efficacité et le rapport coûts bénéfices des programmes et des modalités d'implantation, de délimiter l'étendue des points d'accès (par exemple, les jeunes impliqués dans l'entourage d'un gang, plutôt que les jeunes déjà engagés dans les activités et comportements du gang), de spécifier les modalités de la mise en œuvre des programmes et services. Et, ce qui est encore plus important: les décisions concernant les politiques publiques et les pratiques en matière de gangs de jeunes devraient se baser sur les résultats des recherches les plus rigoureuses. En améliorant nos connaissances sur l'efficacité des programmes, nous serons en mesure d'identifier les moyens de transposer les leçons apprises dans des politiques et pratiques adéquates pour prévenir l'adhésion et l'implication dans les gangs.
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Notes
- 1 Il faut souligner que cette revue de la littérature n'est ni systématique ni exhaustive. Il ne s'agit en aucune façon d'un inventaire complet des livres, articles de revue et autres publications consacrées aux gangs de jeunes. Il s'agit plutôt d'un aperçu mettant en lumières les thèmes et problématiques abordés dans la littérature scientifique au cours des trente dernières années.
- 2Selon Klein et Maxson (2006 :4), “il s'agit de la définition ayant recueilli le consensus d'un consortium de plus de 100 chercheurs et décideurs provenant de douze pays d'Europe et d'Amérique, dans le cadre de huit ateliers s'échelonnant entre 1997 et 2005 (Programme Eurogang) ».
- 3http://www.great-online.org/history.htm. Consulté le 30 mars 2007.
- 4Pour une discussion des problèmes rencontrés pendant la mise en place du Comprehensive Community-Wide Gang Model, voir Klein et Maxson (2006) et Spergel (2007).
- 5Pour une présentation plus détaillée de l'efficacité du projet Little Village de Chicago, voir Spergel (2007).
- 6Les « quasi-participants » sont les jeunes qui n'ont reçu qu'une partie des services dispensés dans le cadre du programme de l'OJJDP (Note de traduction).
- 7Les « Streetworkers » sont un groupe spécial de travailleurs sociaux qui s'occupent presque exclusivement des jeunes de rue à haut risque, « en essayant de faciliter leur accès à des services, de les sortir du pétrin et d'agir comme médiateurs lors de disputes » (Kennedy, Braga et Piehl, 2001 : 10).
- 8Pour plus d'information sur la thérapie multi-systémique, voir la page Web suivante (http://www.mstservices.com) ou la monographie de Cunningham (2002).
- 9Pour plus d'information, voir les analyses coûts bénéfices de plusieurs programmes de prévention et réduction de la violence publiés par le Washington State Institute for Public Policy. Le rapport pour l'année 1998 est intitulé : Watching the Bottom Line: Cost-Effective Interventions for Reducing Crime in Washington.
- 10Pour une description plus détaillée de la philosophie et des éléments clé de Wraparound, voir Burchard et al., 2002.
- 11Par exemple le OJJDP a développé une « Trousse de planification stratégique », disponible sur le Web à l'adresse suivante : http://www.iir.com/nygc/tool/default.htm. L'OJJDP a également publié deux documents en juin 2002 (A Guide to Assessing Your Community's Youth Gang Problem et Planning for Implementation) disponibles sur le Web: http://www.iir.com/nygc/acgp/assessment.htm et http://www.iir.com/nygc/acgp/implementation.htm.
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