Facteurs de risque associés au trouble des conduites
Question de recherche
Numéro 7 – Juillet 2012
Question :
Quels sont les facteurs de risque de la petite enfance associés au trouble des conduites au début de l'adolescence, et en quoi ces facteurs de risque sont-ils propres à des catégories particulières de troubles des conduites?
Contexte :
Le trouble des conduites est un syndrome psychiatrique qui se manifeste à l'enfance ou à l'adolescence et qui se caractérise par une tendance répétitive et persistante à enfreindre les règles et à violer les droits d'autres personnes. Étant donné le lien entre le trouble des conduites et les crimes graves chez les enfants et les adultes (Lacourse et autres, 2010; Moffitt et autres, 2008), il est essentiel de mieux comprendre ce trouble afin d'éclairer la conception de stratégies de prévention et d'intervention précoces visant à prévenir la délinquance ultérieure.
La recherche récente (Lacourse et autres, 2010) sur les enfants canadiens montre que le trouble des conduites se divise en catégories ou en sous-types distincts qui diffèrent selon le type et la gravité des symptômes. Même si la plupart des enfants (82,4 %) n'étaient atteints d'aucun trouble des conduites, 13,9 % ont été classés dans la catégorie du trouble des conduites de forme non agressive (p. ex. vol, destruction de biens et graves infractions aux règles), 2,3 % ont été classés dans la catégorie du trouble des conduites avec agressivité physique (bagarres, agressions armées) et 1,4 % a été classé dans la catégorie du trouble des conduites mixte-grave, qui se caractérise par des comportements agressifs et non agressifs.
La prochaine étape de la recherche consistait à déterminer si divers facteurs de risque (personnels, familiaux et environnementaux) mesurés à la fin de l'enfance (10-11 ans) pouvaient prédire quels jeunes présenteraient des symptômes d'un trouble des conduites au début de l'adolescence (12-13 ans).
Méthode :
La présente étude se fondait sur un échantillon de 4 125 enfants (garçons et filles) âgés de 12 et 13 ans sélectionnés à partir de trois cycles de l'Enquête longitudinale nationale sur les enfants et les jeunes (ELNEJ, 1994-1995, 1996-1997 et 1998-1999) qui avaient déjà été jugés comme n'étant atteints d'aucun trouble des conduites ou classés dans l'une des trois catégories susmentionnées : le trouble des conduites de forme non agressive, le trouble des conduites avec agressivité physique et le trouble des conduites mixte-grave. Sauf pour l'âge (la présente étude cherchait à savoir si le risque d'être atteint d'un trouble des conduites différait chez les jeunes de 13 ans et les jeunes de 12 ans), de l'information a été recueillie sur les facteurs de risque personnels, familiaux et environnementaux suivants, qui ont été évalués lorsque les enfants étaient âgés de 10 et 11 ans :
- l'âge;
- le sexe;
- le contexte socioéconomique défavorable du quartier;
- l'instabilité du quartier (taux élevé de roulement résidentiel et de logements en location);
- le statut socioéconomique de la famille;
- la structure familiale (l'enfant habite-t-il avec un seul de ses parents biologiques?);
- la mobilité familiale (déplacements résidentiels);
- les pratiques parentales coercitives et inefficaces (hostilité, mesures disciplinaires incohérentes);
- la fréquentation de pairs déviants;
- l'hyperactivité et l'inattention;
- l'agressivité physique;
- les symptômes internalisés (anxiété, dépression et repli sur soi).
Des analyses statistiques ont été effectuées, lesquelles visaient à examiner la force des relations entre ces facteurs de risque et les diverses catégories de troubles des conduites. En particulier, l'étude cherchait à savoir si la présence d'un facteur de risque accroissait considérablement la probabilité d'être classé dans une catégorie particulière, comparativement à la probabilité de n'être atteint d'aucun trouble des conduites.
Résultats :
De tous les facteurs de risque évalués dans les analyses, seuls quelques-uns étaient étroitement liés aux trois catégories de troubles des conduites, comparativement aux enfants jugés comme n'étant atteints d'aucun trouble des conduites. Parmi ces quelques facteurs de risque, certains étaient communs à plus d'une catégorie, alors que d'autres étaient uniques à une catégorie.
Par exemple, le fait d'être de sexe masculin accroissait considérablement le risque d'appartenir aux trois catégories de troubles des conduites, tout comme le fait d'avoir une famille non intacte ou mobile. En revanche, la fréquentation de pairs déviants et les pratiques parentales coercitives et inefficaces accroissaient le risque d'appartenir à la catégorie du trouble des conduites de forme non agressive seulement, tandis que l'agressivité physique augmentait seulement le risque d'appartenir à la catégorie du trouble des conduites avec agressivité physique. Enfin, l'hyperactivité et l'inattention ne faisaient qu'augmenter le risque d'appartenir à la catégorie du trouble des conduites mixte-grave.
Les autres facteurs de risque (contexte socioéconomique défavorable et instabilité du quartier, statut socioéconomique de la famille) n'étaient pas étroitement liés à la probabilité d'appartenir à l'une des catégories de troubles des conduites, comparativement aux enfants n'étant atteints d'aucun trouble des conduites.
Répercussions :
Tout comme la plupart des documents de recherche disponibles, l'étude laisse entendre que les variables socioéconomiques globales (c.-à-d. le statut socioéconomique de la famille et du quartier) ne semblent pas avoir un effet marqué ou direct sur les comportements problématiques et la délinquance ultérieure, et indique donc que les ressources pourraient être consacrées davantage aux facteurs de risque individuels et familiaux. Le classement dans la bonne catégorie de troubles des conduites pourrait faciliter l'élaboration de stratégies de prévention et d'intervention ciblant les facteurs de risque qui sont communs à plus d'une catégorie et uniques à chacune d'elles.
Bien qu'il soit évidemment impossible de changer les facteurs de risque statiques tels que le sexe, les autres facteurs de risque importants cernés dans la présente analyse peuvent être modifiés. Par exemple, les programmes à l'intention des jeunes appartenant aux catégories du trouble des conduites de forme non agressive et du trouble des conduites mixte grave pourraient avoir l'objectif commun d'aider les familles non intactes et mobiles. Toutefois, le programme relatif à la catégorie du trouble des conduites de forme non agressive pourrait aussi comporter des volets uniques visant à changer les pratiques parentales coercitives et inefficaces et à réduire la fréquentation de pairs déviants, alors que les volets uniques du programme relatif à la catégorie du trouble des conduites mixte grave pourraient mettre l'accent sur l'hyperactivité et l'inattention. Par ailleurs, afin d'atténuer le plus possible les effets des facteurs de risque à l'âge de 12-13 ans, il faudrait effectuer les interventions lors que les enfants sont plus jeunes (10-11 ans). Des évaluations rigoureuses seront nécessaires pour mesurer l'efficacité des programmes ciblant des catégories précises de troubles des conduites et les facteurs de risque qui y sont associés.
Enfin, vu que les connaissances sur les catégories de troubles des conduites et les facteurs de risque qui y sont associés sont encore relativement nouvelles au Canada, il faudrait tenter, dans le cadre des futures recherches, de reproduire les résultats actuels et d'en prolonger la durée à l'aide d'échantillons d'enfants et d'adolescents provenant de différents quartiers. Il faudrait aussi tenter de faire la lumière sur les raisons pour lesquelles l'agressivité physique à l'âge de 10-11 ans ne prédisait que l'appartenance à la catégorie du trouble des conduites avec agressivité physique, et non celle à la catégorie du trouble des conduites mixte grave, alors que cette dernière dénote des comportements agressifs et non agressifs. Par ailleurs, bien que la recherche antérieure ait étudié les liens entre les catégories de troubles des conduites au début de l'adolescence et la délinquance à l'âge de 14-15 ans (Lacourse et autres, 2010), il faudrait prolonger les périodes de suivi pour examiner les effets à long terme de diverses catégories de troubles des conduites sur la criminalité à l'âge adulte.
Source :
Lacourse, E. (2012). « Facteurs de risque de la petite enfance associés aux sous-types de troubles des conduites au début de l'adolescence : analyse de structure latente d'un échantillon canadien », rapport de recherche : 2012-2. Ottawa (Ontario), Centre national de prévention du crime, Sécurité publique Canada.
Autres références : Lacourse, E., Baillargeon, R., Dupéré, V., Vitaro, F., Romano, E. et Tremblay, R. (2010). « Two-year predictive validity of conduct disorder subtypes in early adolescence: a latent class analysis of a Canadian longitudinal sample », Journal of Child Psychology and Psychiatry, vol. 51, no 12, p. 1386-1394.
Moffitt, T.E., Arseneault, L., Jaffee, S.R., Kim-Cohen, J., Koenen, K.C., Odgers, C.L.,
Slutske, W.S. et Viding, E. (2008). « Research Review: DSM-V conduct disorder — research needs for an evidence base », Journal of Child Psychology and Psychiatry, vol. 49, no 1, p. 3-33.
Pour de plus amples informations :
Lucie Léonard
Centre national de prévention du crime
Sécurité publique Canada
269, avenue Laurier Ouest
Ottawa (Ontario) K1A 0P8
Téléphone : 613-957-6362
Courriel : Lucie.Leonard@ps-sp.gc.ca
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