Unité d’intervention structurée Comité consultatif sur la mise en œuvre Rapport annuel 2022 à 2023

Temps pour un changement significatif

Deuxième rapport annuel (2022 à 2023) du Comité consultatif sur la mise en œuvre des unités d’intervention structurée

Le 11 janvier 2024

Sommaire

À la fin de 2019, l’utilisation de l’isolement préventif par le Service correctionnel Canada (SCC) a été légalement abolie dans les pénitenciers fédéraux à la suite de la mise en œuvre du projet de loi C-83 : Loi modifiant la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition et une autre loi (42e législature, 1re session). Le projet de loi C-83 était une réponse législative à une série de décisions juridiques dans lesquelles les tribunaux ont conclu que l’utilisation de l’isolement préventif constituait une violation des droits garantis par la Charte des droits des prisonniers. Au lieu d’isoler les détenus dans des conditions d’isolement quelque part dans un pénitencier, le Parlement a précisé que certaines cellules seraient désignées comme des unités d’intervention structurées (UIS). Le SCC a créé ces UIS dans 15 pénitenciers canadiens. Avant l’entrée en vigueur du projet de loi C-83, certains détenus pouvaient être isolés des autres pour des raisons préventives ou disciplinaires. Après novembre 2019, les prisonniers placés dans des UIS nouvellement déterminées devaient retourner dans la population générale le plus rapidement possible. Au cours du débat en 2e lecture du projet de loi C-83, le ministre de la Sécurité publique a informé le Parlement que « les détenus logés dans les UIS passeront au moins quatre heures par jour en dehors de leur cellule, dont deux heures de contact humain significatifNote de bas de page 1 ». En outre, l’utilisation des UIS devait être examinée par un nouveau mécanisme de surveillance créé par la loi, à savoir les décideurs externes indépendants (DEI). Dans l’ensemble, les modifications apportées au projet de loi C-83 visaient à éliminer l’utilisation de conditions d’isolement qui équivalaient à l’isolement cellulaire.

Les conclusions du présent rapport et celles des rapports précédents publiés par le Comité ne sont pas ambiguës. L’intention du gouvernement à la suite de l’introduction des changements susmentionnés ne s’est pas concrétisée et les promesses faites aux Canadiens de mettre fin aux conditions d’isolement n’ont pas été tenues. Comme nous l’avons indiqué dans la discussion des éléments de preuve qui suivent, le régime de l’UIS ne fonctionne pas comme il avait été prévu avec l’adoption du projet de loi C-83. Des pratiques, que des personnes raisonnables lisant la loi pourraient croire qu’elles n’existent plus, comme les longs séjours dans des conditions d’isolement avec peu ou pas de contact significatif avec d’autres personnes, perdurent dans les établissements correctionnels fédéraux.

Le Service correctionnel du Canada (SCC) est actuellement en mesure de justifier certaines de ces lacunes par une interprétation stricte de la lettre de la loi, sans égard à l’intention de la loi. Par exemple, le SCC explique que l’omission de ne pas accorder le minimum de quatre heures de prison prévu par la loi est attribuable au fait que les détenus ne se sont pas « prévalus » de l’activité particulière offerte par le SCC. Bien que le SCC puisse démontrer qu’il se conforme à la loi en offrant aux détenus de quitter leur cellule pendant au moins 4 heures, nous estimons que le SCC reste obligé de faire tout ce qui est en son pouvoir pour atteindre réellement le minimum de 4 heures passées à l’extérieur de la cellule. L’incapacité d’atteindre ce résultat n’est pas minimisée en attribuant l’échec au refus des prisonniers d’accepter les offres. Il est important de noter que l’un des principaux objectifs de la réponse législative aux préoccupations des tribunaux canadiens concernant l’utilisation de l’isolement était de mettre fin à l’isolement social des prisonniers.

Il s’agit du deuxième rapport annuel d’un groupe d’expertsNote de bas de page 2 établi en 2021 par le ministre de la Sécurité publique Canada pour examiner la mise en œuvre du régime de l’UIS. Avant la publication du présent rapport, neuf rapports empiriques sur les UIS du SCC ont été rendus accessibles au public, et s’échelonnent entre octobre 2020 et le printemps 2023Note de bas de page 3. Aucun de ces rapports n’indique que la mise en œuvre du régime d’UIS par le SCC a permis au gouvernement du Canada d’atteindre ses objectifs. En fait, tous ces rapports signalent de graves problèmes, tant au niveau de la législation que de sa mise en œuvre. Les problèmes que nous avons déterminés correspondent aux conclusions d’autres personnes qui s’intéressent au fonctionnement des UIS, y compris le Bureau de l’enquêteur correctionnel (BEC).

Nous mentionnons le fait qu’il s’agit du dixième rapport empirique sur le fonctionnement des UIS pour une raison simple : faire valoir que ces conclusions sont fondées sur des faits. Bon nombre de ces faits sont connus depuis plus de trois ans. À notre connaissance, le SCC n’a pas remis en question la validité des conclusions du Comité et n’a pas non plus remis en question les conclusions tirées des quatre rapports empiriques publiés avant la création du Comité. Nous estimons qu’il y a une très bonne raison à l’absence de critiques publiques de la part du SCC. Les conclusions sont fondées sur les propres données du SCC. Par conséquent, le SCC aurait dû raisonnablement être au courant de ces problèmes sans que des sources externes aient à les signaler. Il est également possible que la remise en question de ces conclusions amplifie l’attention accordée aux problèmes signalés par le Groupe d’experts.

Il y a au moins deux importants objectifs à plusieurs volets de la législation sur l’UIS, dont l’examen empirique étroit démontre les insuffisances du régime de l’UIS :

Même si, un jour donné, seule une faible proportion de la population carcérale du SCC se trouve dans les UIS, plusieurs détenus ont connu les UIS pendant leur peine d’emprisonnement, bon nombre ne reçoivent pas le minimum de quatre heures à l’extérieur de la cellule et bon nombre de séjours dépassent le seuil de 15 jours établi à l’échelle internationale, qui est la durée maximale qu’une personne devrait passer en isolement cellulaire (sans contact significatif avec d’autres personnes) avant que celle-ci soit considérée « prolongée », et donc nuisible. Les conclusions tirées dans le présent document et dans les rapports précédents reflètent le fait que le SCC n’a pas atteint des objectifs raisonnables en ce qui concerne les UIS. Les problèmes identifiés dans les neuf rapports précédents, et soulevés une fois de plus dans le présent rapport annuel, comprennent les suivants :

Ces points mettent en évidence quelques-unes des failles du fonctionnement des UIS et les failles du système de protection (p. ex. le modèle DEI) visant à établir une distinction entre l’expérience de l’UIS et l’ancienne utilisation de l’isolement. Cela est particulièrement important dans les cas où l’expérience de l’UIS ressemble de près à l’utilisation préjudiciable de l’isolement cellulaire.

Il est, bien sûr, particulièrement inquiétant de constater que certains des défauts que nous avons décrits ici et dans nos rapports précédents sont plus susceptibles de mettre en cause des groupes vulnérables, comme ceux qui ont des problèmes de santé mentale, et des détenus autochtones et noirs.

Le SCC indique qu’il y a moins de détenus dans les UIS que lorsque l’isolement préventif était encore en vigueur. Par exemple, le 23 mars 2023, nous avons reçu des renseignements sommaires sur toutes les personnes placées dans une UIS. Ce jour-là, 167 détenus étaient placés dans une UIS (en plus de quatre autres, qui étaient consignés comme étant placés dans une cellule destinée aux détenus dont les déplacements sont restreints). Le SCC s’est montré très ouvert sur le fait que le nombre de personnes se trouvant dans les cellules de l’UIS ne représente qu’un faible pourcentage de la population carcérale totale du SCC. En fait, on pourrait soutenir que le SCC considère que la taille de la population de l’UIS, en moyenne, est la preuve que les pratiques d’isolement inappropriées du Canada ont cessé depuis l’entrée en vigueur de la législation sur l’UIS.

Toutefois, comme nous nous préoccupons surtout des séjours prolongésNote de bas de page 6 dans les UIS, la diminution du nombre d’admissions en isolement ou en UIS, bien qu’encourageante, n’est pas aussi significative que la réduction des séjours prolongés dans les UIS.

Si l’on compare le nombre et le taux (pour 1 000 détenus) de certains des séjours les plus « prolongés », à savoir ceux de 61 jours ou plus et ceux de 120 jours ou plus au cours des deux dernières années complètes d’isolement préventif (c.-à-d. 2017-2018 et 2018-2019), aux trois années du nouveau régime d’UIS (c.-à-d. 2020, 2021 et 2022), il est clair qu’une réduction de ces séjours prolongés n’a eu lieu qu’en 2022, à savoir la troisième année sous le régime de l’UIS. En effet, le tableau 1 montre que le taux de ces séjours les plus longs au cours des deux premières années du régime de l’UIS (taux de 13,10 et 9,12 pour 1 000 détenus en 2020 et 2021, respectivement) est plus élevé que dans les dernières années d’isolement préventif (taux d’environ 6,5 pour 1 000 détenus). Nous ne savons pas avec certitude la cause de la diminution pour la troisième année d’exploitation des UIS, et il reste à voir si ce changement sera maintenu.

Bien qu’il y ait eu une diminution du nombre total d’admissions à l’isolement préventif à compter de 2015-2016, rien n’indique une diminution du nombre de séjours prolongés en isolement à partir de 2017-2018 (voir le tableau 1)Note de bas de page 7. Par conséquent, lorsque les tribunaux de l’Ontario en 2017 et 2019 et de la Colombie-Britannique en 2018 et 2019 ont conclu à des violations constitutionnelles, qui ont mené à la création des UIS, toute diminution du nombre de séjours prolongés en isolement avait effectivement pris fin.

Tableau 1 : Séjours prolongés en isolement et dans les UIS
Année Nombre de séjours (isolement ou UIS) de 61 jours ou plus Séjours de 61 jours ou plus par 1 000 détenus en établissement (« Taux ») Nombre de séjours (isolement ou UIS) de 120 jours ou plus Séjours de 120 jours ou plus par 1 000 détenus en établissement (« Taux »)
2017-2018 (isolement) 469 33,2 92 6,51
2018-2019 (isolement) 550 39,1 92 6,54
2020 437 34,1 168 13,10
2021 391 31,5 113 9,12
2022 313 25,2 55 4,42

Bien que nous soyons prudemment optimistes quant au fait qu’en 2022, il y ait eu moins de preuves de séjours prolongés dans les SIU, nous pensons que cette conclusion devrait être tempérée par trois facteurs :

Avant l’adoption du projet de loi C-83, le SCC avait élaboré des lignes directrices qui répondaient aux préoccupations concernant l’isolement des détenus atteints d’une maladie mentale grave connue, ceux qui s’automutilaient et étaient susceptibles de causer des lésions corporelles graves, et ceux qui présentaient un risque élevé ou imminent de suicide. Ce que le SCC a qualifié de « changements importants » dans un cas a été rendu public après le décès d’Ashley Smith en 2007. Ces « changements importants » n’ont été annoncés qu’après les événements suivants :

Il serait difficile de conclure que le SCC n’est pas au courant des nombreux problèmes relevés dans le présent rapport. Deux raisons peuvent être avancées à cet égard :

Plus précisément, la note de service indique ce qui suit (nous avons ajouté les identificateurs entre crochets) :

« À l’heure actuelle, on compte 24 décisions du DEI [décideur externe indépendant], 11 du sous-commissaire principal (SCP) et 44 du directeur d’établissement, qui nécessitent de sortir le détenu de l’UIS et qui n’ont pas été mises en application. Il s’agit d’un risque important pour le régime de l’UIS ainsi que pour la réputation du gouvernement et du SCC s’il est perçu que le SCC “fait fi” des décisions du DEI. Je suggère que nous commencions à nous attaquer à certains des problèmes en examinant la possibilité d’accroître les responsabilités du DEI et du sous-commissaire adjoint, Opérations correctionnelles (SCAOC); selon la politique, les SCAOC sont responsables d’assurer la mise en œuvre des décisions et des recommandations du DEI, mais je ne suis pas sûr que les SCAOC tiennent toujours de cette exigence. »

Même si ce problème est connu publiquement et décrit en détail dans notre premier rapport annuel, aucune conséquence apparente n’a découlé de l’absence de mise en œuvre, en temps opportun, des décisions ordonnant la libération des détenus des UIS. L’auteur de la note semble avoir surestimé le risque pour le SCC d’ignorer ou de ne pas mettre en œuvre les décisions du DEI.

En interprétant les données du tableau 1, nous savons, d’après notre premier rapport annuel, que le SCC maintient parfois des détenus dans des conditions d’isolement sans les relâcher lorsqu’on lui ordonne de le faire. L’enquêteur correctionnel note que les détenus sont parfois placés dans ce qu’il a appelé des « cellules cachées » au lieu d’être libérés. Cela suggère que le nombre d’UIS peut être artificiellement bas. Il n’est pas nécessaire d’avoir de nombreux lieux d’isolement « cachés » dans les pénitenciers canadiens pour améliorer les chiffres. Quelques séjours prolongés dans des cellules d’isolement cachées dans chacun des établissements canadiens créeraient un « taux d’isolement » comparable à ce que le Canada a connu avec l’ancien modèle d’isolement. Selon les propres mots du Bureau de l’enquêteur correctionnel (tiré de son Rapport annuel 2021 à 2022),

« Dans un autre établissement, la pression exercée pour maintenir le nombre d’UIS à un faible niveau et l’augmentation des sous-populations incompatibles (nous y reviendrons) ont entraîné l’utilisation de “cellules cachées” (un terme souvent utilisé par le personnel de cet établissement), où les détenus sont maintenus dans des conditions semblables à l’isolement pendant des semainesNote de bas de page 10. »

Les préoccupations du présent Comité, et ce que nous croyons être des préoccupations des tribunaux qui ont mené à la création des UIS, en premier lieu, sont liées à la pratique de ce qui peut être considéré comme un isolement prolongé (ou isolement cellulaire). Ces préoccupations ne peuvent être entièrement abordées en examinant uniquement les UIS. Il faut faire la lumière sur toutes les conditions d’isolement et les soumettre à une surveillance rigoureuse.

En conclusion, nous estimons qu’il vaut la peine de répéter ce que nous avons dit au début : le régime de l’UIS ne fonctionne pas comme prévu. Pour cette raison, nous estimons qu’il faudrait commencer immédiatement à travailler afin d’orienter fermement les opérations du Service correctionnel du Canada dans la direction envisagée par le Parlement au moment de l’adoption de la nouvelle loi.

Introduction et contexte

Des unités d’intervention structurées (UIS) ont été créées en novembre 2019 pour remplacer la pratique de l’isolement préventif dans les établissements du Service correctionnel du Canada (SCC). À l’époque, les tribunaux de la Colombie-Britannique et de l’Ontario avaient conclu que l’isolement préventif était essentiellement un isolement cellulaire et, à ce titre, violait la Règle Mandela 44, ainsi que les articles 7 (c.-à-d. le droit à la liberté) et 12 (c.-à-d. le droit à la protection contre tous traitements ou peines cruels et inusités) de la Charte canadienne des droits et libertés. La Règle Mandela no 44 définit l’isolement cellulaire comme « l’isolement d’un détenu pendant 22 heures par jour ou plus, sans contact humain significatif. L’isolement cellulaire prolongé signifie l’isolement cellulaire pour une période de plus de 15 jours consécutifsNote de bas de page 11. » À mesure que les appels étaient en cours, le gouvernement fédéral a adopté le projet de loi C-83, qui a modifié la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition (LSCMLC) afin d’éliminer l’isolement disciplinaire et de remplacer l’isolement préventif par les USI. L’intention était que les transferts aux UIS seraient un dernier recours et utilisés « […] qu’il n’existe aucune autre solution valable […] » (LSCMLC, par. 34(1)); on éviterait l’isolement prolongé et on offrirait aux détenus un minimum de quatre heures à l’extérieur de la cellule par jour, dont deux heures devaient comporter des « contacts humains réels ». Les modifications à la LSCMLC ont également créé une surveillance externe indépendante sous la forme de décideurs externes indépendants (DEI) (LSCMLC, par. 37.6(1)). Le gouvernement espérait que le projet de loi C-83 mettrait les pratiques du SCC en conformité avec les Règles Mandela et transformerait les services correctionnels fédéraux et améliorerait les soins et le bien-être des détenus canadiens.

Les affaires judiciaires qui ont mené à la modification de la LSCMLC et à l’établissement des DEI avaient été lancées par la British Columbia Civil Liberties Association et la Société John Howard du Canada, ainsi que par l’Association canadienne des libertés civiles en Ontario. Dans ces affaires judiciaires et la législation qui a suivi, on a examiné la nécessité d’un examen externe des décisions relatives à l’isolement des détenus dans les UIS. Cela a mené à la création de deux organismes chargés de surveiller la mise en œuvre des UIS et la prise de décisions du SCC en ce qui concerne les UIS : les DEI susmentionnés et le Comité consultatif sur la mise en œuvre des unités d’intervention structurée (CCMO UIS). Les DEI sont chargés d’examiner les cas d’UIS et de formuler des recommandations concernant les conditions et la durée de l’isolement. Les DEI ont des pouvoirs contraignants pour ordonner la fin de la période de détention dans l’UIS. Le CCMO UIS a pour mandat de conseiller le ministre de la Sécurité publique et de fournir des recommandations à la commissaire des services correctionnels sur le fonctionnement des UIS.

Le CCMO UIS a été créé au milieu de 2019. À la suite de l’incapacité du SCC de fournir des données au CCMO UIS, le mandat d’un an du Comité initial a pris fin sans qu’il puisse avoir accès aux données sur l’exploitation des UIS. Les données sur le fonctionnement réel des UIS ont finalement été mises à la disposition de deux chercheurs indépendants à la fin de septembre 2020, après que le premier comité ait cessé d’exister. Le premier rapport sur le fonctionnement des UIS par ces chercheurs a été publié à la mi-octobre 2020.

Le Comité consultatif actuel a été créé en avril 2021 et a débuté avec un mandat de deux ans. En juin 2023, son mandat a été prorogé jusqu’au 31 décembre 2024, ce qui permettra d’examiner les travaux définitifs du Comité dans le cadre de l’examen quinquennal obligatoire de la législation qui a créé les UIS. Au cours des 3,5 dernières années, le Comité a publié cinq rapports exposant ses conclusions. Ces cinq rapports empiriques mettent en lumière des problèmes importants au niveau de la mise en œuvre des UIS. Les membres du Comité ont visité toutes les UIS (hommes et femmes) dans toutes les régions du pays. Ces visites sur place ont consisté en des rencontres avec le personnel administratif, opérationnel et professionnel, y compris les professionnels de la santé et les Aînés autochtones, ainsi qu’en des entrevues avec certains détenus logés dans une UIS. Le Comité a également tenu plusieurs réunions avec de hauts fonctionnaires du SCC, dont la commissaire. En outre, les membres du Comité ont discuté avec un certain nombre d’intervenants qui s’intéressent aux UIS et qui les connaissent.

Il convient de noter que le ministre n’a pas encore nommé de membre du Comité ayant une expérience en matière de détention. Même si cette nomination n’était pas expressément prévue dans le mandat du Comité, elle a fait l’objet de discussion et a été acceptée comme un élément important de la reconstitution du Comité au printemps 2021Note de bas de page 12. Plusieurs personnes potentielles ont été renvoyées au ministre pour examen et, le 16 décembre 2021, un membre potentiel a été invité à présenter un curriculum vitae et à suivre le processus d’habilitation de sécurité.

Malheureusement, peu de preuves indiquent que le projet de loi C-83 a transformé les services correctionnels fédéraux. Des aspects clés de la législation demeurent mal définis ou mal mis en œuvre d’une manière qui nuit à une évaluation complète de la mise en œuvre et du rendement des UIS. Par exemple, on ne sait toujours pas ce qui constitue un « contact humain significatif» ou une « intervention structurée ».

Problèmes avec le système d’UIS : Historique

Pour situer le contexte du présent rapport, nous aimerions vous présenter Lawrence (nom fictif), détenu purgeant une longue sentence sous responsabilité fédérale, qui a l’expérience du régime d’isolement et du régime actuel d’UIS.

Pour protéger sa vie privée, nous n’avons pas inclus un relevé complet du temps que Lawrence a passé en détention.

Lawrence est un homme blanc d’âge moyen, qui a un casier judiciaire de jeune contrevenant et d’importants antécédents de problèmes de santé mentale, y compris l’automutilation. Il a passé la majeure partie des deux dernières décennies au sein du système correctionnel fédéral. Sa première peine de ressort fédéral a commencé au début des années 2000 et s’est terminée par sa libération à l’expiration de son mandat, près d’une décennie plus tard. Dans les semaines qui ont suivi sa libération, Lawrence a commis l’infraction qui a mené à sa deuxième peine fédérale. Nous avons terminé notre examen de ce cas au début de 2023.

Au cours de sa première peine, Lawrence avait été impliqué dans 190 « incidents en établissement », dont 70 ont été jugés « graves » par le SCC. Il a été placé en isolement préventif 52 fois et a passé plus de 1 600 jours dans ces conditions d’isolement. Il a été logé dans des conditions d’isolement dans les cinq régions du Service. Un certain nombre d’incidents d’automutilation ont entraîné des transfèrements vers les centres régionaux de traitement. Au cours de cette peine, il a obtenu la libération d’office à deux reprises, sans succès, passant moins de quatre mois au total dans la communauté.

Au cours de sa deuxième peine, Lawrence a été impliqué dans plus de 80 « incidents en établissement », dont 30 ont été qualifiés de « graves » par le SCC. Il a été placé en isolement préventif ou dans une UIS plus de 30 fois et a passé plus de 500 jours dans des conditions d’isolement. Il a été transféré dans des conditions d’isolement dans quatre des cinq régions du Service. De nombreux cas d’automutilation se sont produits, entraînant des transfèrements vers un centre régional de traitement. Lawrence a obtenu la libération d’office, sans succès, à deux reprises, passant moins de 8 mois au total dans la communauté.

Lawrence a passé près de deux décennies sous responsabilité fédérale, la majeure partie en détention, entrecoupée d’un certain nombre de périodes infructueuses de surveillance dans la collectivité. Au cours de cette période, il a démontré un schème comportemental qui est demeuré remarquablement constant, tout comme l’intervention du Service correctionnel du Canada.

Son temps dans une population ouverte ou générale d’un pénitencier était généralement de courte durée, chaotique et stressant. Parfois, ses transfèrements vers des unités d’intervention structurée ou d’isolement préventif ont été initiés à sa propre demande; à d’autres moments, ils ont été le résultat de conflits avec d’autres prisonniers ou employés, mais le plus souvent, ils ont été orchestrés par Lawrence lui-même au moyen de menaces contre d’autres personnes ou d’actes d’automutilation. Une fois placé en isolement préventif ou en UIS, il a rarement semblé pressé de retourner dans la population ouverte, refusant souvent de quitter l’isolement ou de choisir de rester jusqu’à la date de sa libération d’office, ou jusqu’à ce que des arrangements pour un transfert interrégional soient finalisés.

Lorsque nous comparons la première partie de la deuxième sentence à la deuxième partie (c.-à-d. avant et après la mise en œuvre de l’UIS), nous n’avons constaté aucune différence mesurable dans le comportement de Lawrence ou dans l’efficacité du Service à réagir à ce dernier.

Au cours de la première partie de cette peine, il a été incarcéré pendant environ 1 350 jours, placé en isolement préventif 19 fois et passé 240 jours en isolement. Il y a eu de nombreux cas d’automutilation, qui ont entraîné des transfèrements vers les centres régionaux de traitement.

Au cours de la deuxième partie de cette peine, il a été incarcéré pendant environ 900 jours, il a été transféré vers l’UIS 8 fois et a passé 256 jours en isolement. Il y a eu de nombreux cas d’automutilation, qui ont entraîné des transfèrements vers les centres régionaux de traitement.

Nous n’avons trouvé aucune preuve dans le cadre de cet examen, selon laquelle l’introduction du régime de l’UIS a amélioré la capacité du Service de gérer efficacement des détenus complexes et ayant des besoins élevés, comme Lawrence. Le Comité consultatif n’est pas particulièrement surpris de cette conclusion, puisque l’approche décisionnelle actuelle du SCC à l’égard de l’UIS se concentre étroitement sur la conformité aux politiques, plutôt que de s’attaquer aux problèmes et aux circonstances sous-jacents qui ont mené aux transfèrements vers l’UIS.

Cette incapacité à résoudre les problèmes sous-jacents s’étend surtout à la gestion des détenus ayant des problèmes de santé mentale. L’intervention du Service envers Lawrence, pendant plus de deux décennies, révèle un cycle d’isolement, suivi de transfèrements vers les centres régionaux de traitement. Il est évident que peu de progrès, voire aucun, ont été réalisés dans l’élaboration de programmes d’intervention et de traitement visant à empêcher les détenus comme Lawrence d’être placés en isolement. Les UIS semblent continuer à être l’option de placement de choix pour un trop grand nombre de détenus, qui ont d’importants problèmes de santé mentale.

L’incidence positive escomptée du décideur externe indépendant (DEI) sur les UIS, notamment en ce qui concerne la limitation de la durée des séjours, n’était pas apparente dans le cas présent. Les examens internes nationaux et régionaux, tel qu’ils sont actuellement effectués, n’ont pas non plus aidé les établissements à gérer efficacement ce cas difficile. Il convient de noter que cinq des séjours à l’UIS de Lawrence étaient de 30 jours ou plus, dont deux dépassaient 60 jours, alors que seulement un de ses dix-neuf placements en isolement préventif, survenu au cours des trois années ayant précédé la mise en œuvre des UIS, a dépassé 30 jours. Cela ne ressemble guère à du progrès.

Expérience des détenus avec l’UIS

Les pénitenciers canadiens ont été mis au défi d’éliminer la pratique de conditions d’isolement (isolement préventif) depuis 2019, année où le Parlement a exigé la création de « lieux » devant être appelés UIS. Une partie de la difficulté concerne le libellé des exigences de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition (LSCMLC). Le problème se rapporte à la manière dont le Service correctionnel du Canada (SCC) a mis en œuvre cette nouvelle pratique. Du point de vue du détenu, peu importe si les problèmes se posent en raison de la législation ou de sa mise en œuvre. Ce qui est important, c’est que les détenus reçoivent un traitement qui correspond à peu près au but par la rédaction du projet de loi C-83, qui consistait à réagir aux violations de la Charte relevées par les tribunaux canadiens.

Durée d’un séjour

La définition d’une durée de séjour « acceptable » dans des conditions d’isolement ne devrait pas être arbitraire. La ligne de démarcation internationale est de 15 jours conformément aux Règles Mandela. La LSCMLC modifiée qui a créé les UIS a évité la spécificité internationalement acceptée de deux façons. Tout d’abord, en stipulant dans la loi que « l’incarcération dans une unité d’intervention structurée prend fin le plus tôt possible » (art. 33 de la LSCMLC), le SCC est autorisé à déterminer le délai en définissant ce qui est « possible » dans ses propres termes. La deuxième manière par laquelle le Canada a évité un délai déterminé a été d’adopter une loi prévoyant qu’il doit y avoir la possibilité « de passer au moins quatre heures en dehors de sa cellule » (alinéa 36(1)a) de la LSCMLC), y compris au moins deux heures d’interaction avec autrui (alinéa 36(1)b)). L’établissement d’un minimum de quatre heures en dehors de la cellule (y compris deux heures d’interaction significative avec autrui) signifiait qu’il ne s’agissait plus d’un « isolement cellulaire » qui a une définition internationale de deux heures ou moins en dehors de la cellule avec autrui. Mais nous savons que légiférer sur les possibilités de sortir de la cellule n’est pas la même chose que de s’assurer que les détenus passent du temps en dehors de leur cellule en ayant un contact significatif avec autrui. Nous retournerons aux heures en dehors de la cellule, mais nous examinerons d’abord la durée des séjours à l’UIS.

Si l’on examine les séjours à l’UIS qui ont commencé au cours de chacune des trois années complètes pour lesquelles nous disposons de données, et si l’on permet au SCC d’avoir une certaine marge de manœuvre pour atteindre la limite des « 15 jours », les données du tableau 2 contiennent la proportion de séjours à l’UIS qui sont de plus d’un mois, soit deux fois la norme internationale.

Tableau 2 : Durée du séjour à l’UIS
Année de début du séjour à l’UIS Nombre de jours à l’UIS Total % Total des séjours
1 à 31 32 à 552
2020 64,8 % 35,2 % 100 % 2 152 séjours
2021 53,7 % 46,3 % 100 % 1 393 séjours
2022 54,5 % 45,5 % 100 % 1 424 séjours
Total des séjours 58,7 % 41,3 % 100 % 4 969 séjours

Les données du tableau 2 font ressortir deux points simples. Tout d’abord, le nombre total de séjours de personnes a diminué au cours de cette période de trois ans. Ensuite, la proportion de séjours de plus de 32 jours semble avoir augmenté depuis 2020. En d’autres mots, un nombre important de détenus ont eu des séjours à l’UIS qui étaient considérablement plus longs que la norme internationale. En chiffres, au cours de ces trois années, il y a eu 2 051 séjours à l’UIS de 32 jours ou plus. Au cours de la troisième année d’application du régime d’UIS, 648 séjours à l’UIS ont duré 32 jours ou plus, un nombre inférieur à celui de 2020. Une attention portée à cette diminution apparente n’est pas pertinente. Nous ne sommes pas disposés à accepter l’implication implicite de ces données : le fait de permettre à 45,5 % des séjours-personnes en 2022 (ou 648 séjours-personnes réels) dans les UIS de dépasser 2 mois reflète le meilleur résultat possible dans les pénitenciers canadiensNote de bas de page 13.

Il y a une troisième question qui s’est répétée dans presque tout ce que nous avons examiné relativement à la mise en œuvre des UIS par le SCC : il y a eu de grandes différences régionales dans le fonctionnement des UIS (il est à noter que seulement 2 des 5 régions ont plusieurs UIS dans la région. Par conséquent, la variation institutionnelle à l’intérieur de la région n’est pas pertinente dans toutes les régions). Les résultats présentés dans le tableau 3 ne portent que sur la durée du séjour (dans les cinq régions) pour les séjours dans les SIU qui ont débuté en 2022 (l’année la plus récente pour laquelle nous avions des données complètes au moment de la préparation du présent rapport). Nous constatons que la durée des séjours varie considérablement d’une région à l’autre. Le Québec, par exemple, a enregistré 22,2 % de ses séjours à l’UIS de 32 jours ou plus, alors que la région du Pacifique a enregistré 65,7 % de ses séjours de longue durée.

Tableau 3 : Durée du séjour à l’UIS en 2022 par région
Région Nombre de jours à l’UIS Total % Total des séjours
1 à 31 32 à 552
Atlantique 47,1 % 52,9 % 100 % 172 séjours
Québec 77,8 % 22,2 % 100 % 419 séjours
Ontario 54,3 % 45,7 % 100 % 243 séjours
Prairies 42,8 % 57,2 % 100 % 409 séjours
Pacifique 34,3 % 65,7 % 100 % 181 séjours
Total des séjours 54,5 % 45,5 % 100 % 1 424 séjours

Est-il raisonnable qu’il y ait une telle variation? Si l’on veut éviter les longs séjours, que nous disent ces données? Il ne s’agit pas de nouvelles constatations, et le SCC n’a pas fourni jusqu’à présent d’explications de fond.

Il semble y avoir des différences importantes entre les groupes raciaux en ce qui concerne la durée des séjours à l’UIS. Bien que la durée des séjours de divers groupes ait légèrement évolué au fil du temps, pour l’année la plus récente, soit 2022, il semble (voir le tableau 4) que les détenus autochtones sont plus susceptibles d’avoir des séjours prolongés à l’UIS de 91 jours ou plus (11,7 % ont séjourné 91 jours ou plus, comparativement à 8,4 % des détenus noirs et à 5,8 % des détenus blancs). Nous ne savons pas pourquoi cela s’est produit ni pourquoi le SCC n’a proposé d’explication.

Tableau 4 : Durée du séjour à l’UIS en 2022 pour les détenus identifiés comme étant autochtones, noirs ou blancs
Groupe Nombre de jours à l’UIS Total % Total des séjours
1 à 31 32 à 90 91 à 552
Autochtones 49,4 % 38,8 % 11,7 % 100 % 605 séjours
Noir 59,1 % 32,5 % 8,4 % 100 % 203 séjours
Blanc 58,7 % 35,6 % 5,8 % 100 % 520 séjours

Note : Les données pour d’autres groupes racisés et pour ceux dont les identificateurs personnels étaient manquants ne sont pas incluses. Ils représentaient 6,7 % des séjours en 2022 (N=96 sur 1 424 séjours en 2022).

Enfin, il y a un autre aspect des estimations de la « durée du séjour » qui ne peut être ignoré. Il peut être difficile d’évaluer la « durée d’un séjour » lorsque les séjours sont « fractionnés », un transfèrement étant suivi de près d’un autre transfèrement vers la même UIS ou une autre. Cette situation peut avoir des répercussions importantes sur les examens en temps opportun et rappelle certaines utilisations abusives de l’isolement préventif. On se rappelle que les tribunaux ont conclu que la nature indéterminée de l’isolement préventif constituait une violation de la Charte.

Au début de 2023, le Comité a reçu des données du SCC sur tous les détenus qui étaient dans les UIS le 23 mars 2023. Des séjours multiples dans plusieurs UIS étaient fréquents, tout comme les séjours multiples dans une UIS unique survenaient assez souvent. Un détenu, que nous appellerons André, a vécu les deux.

André a fait trois séjours aux dates suivantes. Ils étaient tous au même UIS.

Même si le deuxième séjour, séparé par 11 jours du premier, doit être considéré comme un séjour séparé, il est difficile de voir comment le troisième séjour indiqué ici est distinct du second. André a quitté l’UIS le 28 février 2020 et est retourné à la même UIS plus tard le même jour. En divisant les deuxième et troisième séjour en deux, André aurait vécu 59 jours dans une UIS au cours du deuxième séjour (et par conséquent, la durée de ce séjour n’aurait pas été examinée par un DEI). Le troisième séjour à l’UIS était d’une durée de 48 jours (du 28 février 2020 au 16 avril 2020). Là encore, le cas d’André n’aurait pas été renvoyé à un DEI pour examiner la durée de son séjour à l’UIS. S’il n’avait pas été libéré afin de « redémarrer » « l’horloge » de l’UIS, le 28 février 2020, d’André serait ressorti comme ayant séjourné à l’UIS pendant 107 jours, auquel cas son dossier aurait été porté à l’attention d’un DEI pour examen, ou aurait dû l’être.

Mais André a eu d’autres expériences qui illustrent ce même problème. Examinons le dossier suivant (tableau 5) de ses expériences en UIS débutant un peu plus tard la même année (2020). Afin d’éviter d’identifier les détenus, nous avons décrit les établissements comme étant de « l’Est » (Ontario et l’Est) ou de « l’Ouest » (Manitoba et l’Ouest) et nous avons donné des chiffres aux établissements individuels dans chacune de ces deux parties du Canada dans l’ordre selon lequel ils apparaissent dans un tableau donné.

Tableau 5 : Expérience ultérieure d’André avec les UIS 2020-2023
Nbre de séjour à l’UIS Date de début à l’UIS Date de fin à l’UIS Établissement de l’UIS
6 16 déc. 2020 20 déc. 2020 Ouest-un
7 22 déc. 2020 21 mai 2021 Ouest-un
8 23 mai 2021 29 juin 2021 Ouest-un
9 18 août 2021 16 mars 2022 Ouest-deux
10 2 mars 2022 27 avril 2022 Ouest-trois
11 29 avril 2022 13 juin 2022 Est-un
12 14 juin 2022 05 oct. 2022 Ouest-trois
13 08 oct. 2022 21 nov. 2022 Est-deux
14 13 févr. 2023 [encore 23 mars 2023] Ouest-deux

André a fait 3 séjours à l’UIS de l’établissement de l’Ouest-un (séjours 6, 7 et 8) qui, compte tenu de l’heure entre la date de fin de l’un et la date de début du suivant, semblent remarquablement à un long séjour ponctué de quelques pauses très courtes (2 jours). Nous ne savons pas quel était le but de ces deux pauses de deux jours entre ses séjours à l’UIS. Toutefois, à partir du séjour no 9 et jusqu’au séjour no 13, André a effectué 5 séjours à l’UIS dans 4 établissements (répartis sur 3 régions), avec seulement quelques jours entre chaque séjour. Une fois de plus, il serait raisonnable de déduire que ces séjours faisaient tous partie d’un séjour à l’UIS, qui comprenait une tournée pancanadienne des UIS. Ce « séjour consolidé » a duré environ 15 mois.

Le cas d’André est peut-être inhabituel en ce qui concerne le nombre de séjours à l’UIS et le moment où ils ont eu lieu; toutefois, les problèmes que nous constatons dans son histoire – plus particulièrement la division de ce qui est effectivement, du point de vue du détenu, presque certainement une seule expérience à l’UIS, divisée pour des raisons administratives en plusieurs séjours – ne sont peut-être pas inhabituels. Nous avons constaté, par exemple, que 30 % de toutes les personnes qui se sont retrouvées dans une UIS le 23 mars 2023 avaient vécu un « séjour partagé » de quatre jours ou moins entre des séjours à l’UIS.

Il y a un autre problème grave qui doit être résolu. Pour certains détenus, en particulier ceux qui se trouvent à l’UIS pour leur propre sécurité, l’UIS est perçue comme un meilleur endroit pour purger leur peine que dans une cellule de la population générale. Le SCC nous a dit à plusieurs reprises que les détenus ne veulent pas quitter l’UIS pour diverses raisons. Toutefois, le fait que les détenus préfèrent rester dans l’UIS n’est pas une justification suffisante pour des séjours prolongés dans les UIS. Au lieu de cela, il est suggéré que le SCC examine attentivement le fonctionnement des sections générales de ses établissements afin de s’assurer que tous les détenus ont une probabilité raisonnable de pouvoir purger leur peine en toute sécurité en dehors des UIS. Autrement dit, cela ne donne pas une bonne image du SCC ou du Canada si une partie des détenus canadiens ayant des besoins complexes, y compris un besoin de protection, préfèrent des conditions d’isolement et de confinement à la population générale d’un pénitencier. Un détenu ne devrait pas avoir à renoncer à ses droits à la liberté pour sa sécurité personnelle.

Notre conclusion au sujet des données est simple et claire. Le SCC n’a pas atteint l’un des principaux objectifs de la loi : maintenir la durée des séjours raisonnablement courte. Les données présentées dans le tableau 2 ne montrent clairement aucune amélioration sensible de la réduction de la durée des séjours au cours de cette période de trois ans.

Temps en dehors de la cellule

La deuxième promesse (en deux parties) du projet de loi C-83 était que les détenus se verraient accorder suffisamment de temps en dehors de la cellule, ce qui leur permettrait d’établir la distinction entre un séjour dans une UIS et la pratique internationalement définie de l’isolement cellulaire. Le projet de loi prévoit qu’il s’agit d’un minimum de quatre heures en dehors de la cellule par jour, y compris « d’avoir, pour au moins deux heures, la possibilité d’interagir avec autrui dans le cadre d’activités » (par. 36(1)). Malgré les commentaires du ministre à l’étape de la deuxième lecture du projet de loi C-83 (voir l’annexe « B »), l’une des principales ambiguïtés de cette promesse est que les détenus doivent se voir « offrir » une « possibilité ». Cela implique qu’il n’est pas nécessaire qu’un détenu passe en fait quatre heures en dehors de sa cellule (y compris deux heures d’interaction avec autrui). Nous avons entendu un certain nombre d’explications de la part des détenus sur les raisons pour lesquelles ils n’acceptaient pas les offres du SCC, y compris les plaintes concernant le milieu physique qu’on leur avait offert (p. ex., une cour d’exercice dépourvue d’intérêt par une froide journée d’hiver), le manque d’activités engageantes ou les préoccupations personnelles en matière de sécurité liées au cadre social de l’offre (p. ex. un autre détenu que craignait le détenu de l’UIS).

Le temps en dehors de la cellule est particulièrement important pour ceux qui font de longs séjours à l’UIS. Par conséquent, dans le présent rapport, nous nous concentrerons souvent sur les longs séjours, c’est-à-dire ceux qui sont de 16 jours ou plus.

Il ne fait aucun doute que le fait d’offrir aux détenus des choix suffisamment attrayants pour qu’ils aient envie d’accepter une offre de sortie de la cellule peut constituer un défi. Il faut se rappeler que le SCC a reçu un financementNote de bas de page 14 supplémentaire considérable et permanent pour avoir un ratio de dotation accru et offrir des programmes améliorés dans les UIS. Cela ne s’est pas traduit par l’obtention du temps de sortie de cellule souhaité pour les détenus de l’UIS. En outre, les données montrent très clairement que les « refus » par les détenus de quitter la cellule de l’UIS ne tiennent pas suffisamment compte de l’incapacité des détenus à obtenir le temps minimum légal de sortie de la cellule.

Par exemple, nous avons examiné les séjours de 16 jours ou plus et nous avons constaté qu’au cours de la période de trois ans (séjours-personnes débutant entre le 1er janvier 2020 et le 31 décembre 2022), 1 485 personnes ont été identifiées et n’ont pas obtenu leurs quatre heures en dehors de la cellule la plupart des jours (c’est-à-dire 76 % ou plus de leurs jours dans une UIS).

Pour 46 % de ces séjours-personnes (689 séjours-personnes), le détenu n’a pas refusé plus de deux fois au cours de ces 16 jours ou plus. Mais la plupart du temps, ces détenus n’ont pas obtenu leurs quatre heures hors de la cellule. En toute logique, si le détenu ne refusait pas et qu’il ne sortait pas de sa cellule, cela doit signifier que le SCC n’a pas offert les quatre heures complètes au détenu ou que le SCC n’a pas consigné correctement l’opération de l’UIS. Quelle que soit l’interprétation des données sur le « refus », la conclusion (selon les propres données du SCC) est claire : pendant bon nombre de ces séjours relativement longs, les détenus n’ont pas eu le temps de sortir de leur cellule comme on pouvait s’y attendre après avoir entendu les débats parlementaires sur le projet de loi C-83 ou après avoir lu la loi qui en a résulté.

Quoi qu’il en soit, bien que la loi stipule que les détenus doivent se sont vu proposer du temps à l’extérieur de leur cellule, lorsqu’ils ne quittent pas leur cellule, c’est un problème pour le détenu et la société parce que cela entraîne des circonstances qui ont amené les tribunaux à conclure que le traitement des détenus n’était pas conforme aux garanties constitutionnelles. Comme la plupart de ces détenus seront remis en liberté dans nos communautés, les longs séjours dans des conditions d’isolement ne sont clairement pas la meilleure préparation pour une réinsertion sociale réussie.

Si l’on examine les séjours à l’UIS qui ont duré 16 jours consécutifs ou plus (voir le tableau 6), on constate que, pendant les trois années, dans plus de la moitié de ces séjours à l’UIS (52,7 %), les détenus n’ont pas reçu leurs quatre heures à l’extérieur de la cellule pendant au moins 76 % des jours passés à l’UIS.

Lorsque nous examinons une autre mesure liée à l’expérience du prisonnier dans une UIS, nous constatons que près de la moitié des détenus (45,8 %) n’ont pas reçu deux heures à l’extérieur de la cellule, mettant en cause un contact humain réel la plupart de leurs jours à l’UIS.

Tableau 6 : Longs séjours (16 jours et plus) seulement. Pourcentage de séjours-personnes au cours desquels le détenu n’a pas obtenu 4 heures à l’extérieur de la cellule la plupart des jours, et pourcentage de personnes qui n’ont pas obtenu 2 heures de contact humain réel la plupart des jours
Année Pourcentage qui n’ont pas obtenu 4 heures à l’extérieur de la cellule la plupart des jours (76 % ou plus de leurs jours dans l’UIS) Pourcentage qui n’ont pas reçu 2 heures de contact humain réel la plupart des jours (51 % ou plus de leurs jours dans l’UIS) Nombre de séjours-personnes
2020 63,2 % 52,0 % 1 076
2021 46,9 % 43,8 % 864
2022 45,5 % 40,2 % 880
Total des séjours 52,7 % 45,8 % 2 820

On pourrait suggérer qu’entre 2020 et 2021, le SCC a amélioré sa capacité de faire sortir les gens de leurs cellules. Comme l’indique le tableau 6, la proportion de détenus (longs séjours) qui n’ont obtenu aucun type d’heures à l’extérieur de la cellule a diminué entre 2020 et 2021. Il faut évidemment se réjouir de l’amélioration, mais il est difficile de se réjouir de « l’amélioration » lorsque, par exemple, « l’amélioration » du rendement est que « seulement » 45,5 % n’ont pas obtenu d’avantage (4 heures à l’extérieur de la cellule) la plupart des jours de leur long séjour à l’UIS. Pour des centaines de détenus, il est donc juste de décrire leur expérience à l’UIS comme une expérience qui reflète l’isolement cellulaire.

Après cela (2021 par rapport 2022), les progrès sont au point mort. Toutefois, il y a des variations régionales importantes et, pour certaines régions, aucune amélioration constante. Par exemple, dans la région du Pacifique en 2020, 89,2 % des prisonniers (longs séjours) n’ont pas obtenu leurs quatre heures à l’extérieur de la cellule pour 76 % ou plus de leurs jours. En 2021, ce chiffre est passé à 71,5 %, puis à 80 % en 2022.

L’expérience de l’isolement cellulaire

Étant donné que le temps passé à l’extérieur de la cellule vise à établir la distinction entre l’expérience de l’UIS et l’expérience de l’isolement préventif, l’importance de ces constatations ne peut être ignorée. En effet, dans l’ensemble, 41,4 % des détenus (longs séjours) qui n’ont pas obtenu leurs quatre heures à l’extérieur de la cellule pour 76 % ou plus de leurs jours (N=1 485), 41,4 % avaient, en moyenne, reçu jusqu’à une heure à l’extérieur de la cellule et 51,6 % avait reçu en moyenne, entre une et deux heures à l’extérieur de la cellule, ce qui reflète la pratique de l’isolement cellulaire telle que définie à l’échelon internationalNote de bas de page 15. Faire porter le blâme sur le détenu en disant qu’il avait « refusé » la possibilité qui était (parfois) offerte est hors de propos. Le SCC a l’obligation incontestable de veiller à ce que les détenus ne subissent pas de longues périodes d’isolement. En outre, compte tenu des séjours les plus difficiles, le tableau 7 montre que la proportion de ces détenus n’a pas diminué de façon appréciable au cours de la période de trois ans. Plus précisément, le tableau 7 porte sur les séjours ayant les trois caractéristiques suivantesNote de bas de page 16 :

Tableau 7 : Proportion des séjours-personnes dans l’UIS pendant lesquels le détenu a vécu trois aspects d’un isolement cellulaire
Année Pourcentage de tous les séjours-personnes de 16 jours ou plus au cours desquels le détenu n’a pas reçu 4 heures à l’extérieur de la cellule pendant la plupart des jours (76 %+) et n’a pas reçu 2 heures de contact humain significatif la plupart (51 %) du temps Nombre de séjours-personnes
2020 24,7 % 2 152
2021 24,1 % 1 393
2022 20,6 % 1 424
Total des séjours 23,4 % 4 969

Une variation régionale persiste et, pour certaines régions, il n’y a pas d’amélioration. Par exemple, dans la région de l’Atlantique en 2020, 22,2 % des détenus sont restés 16 jours ou plus et n’ont pas reçu à la fois leurs quatre heures à l’extérieur de la cellule et deux heures de contact humain réel. Cette proportion de détenus a reculé à 19,4 % en 2021, puis est passée à 31,4 % en 2022.

Enfin, nous avons un ensemble de constatations qui devraient être un point de départ pour l’amélioration du rendement du SCC. Depuis la publication du premier rapport externe sur les UIS, il y a trois ans, en octobre 2020, il est bien établi qu’il existe des différences régionales et institutionnelles dans la manière dont le SCC s’acquitte des intentions du législateur dans les domaines de la durée du séjour et du temps à l’extérieur de la cellule.

Nous avons remarqué que l’Établissement de Stony Mountain, au Manitoba, rapporte très peu de séjours-personnes au cours desquels le détenu est dans l’UIS pendant une longue période, et des taux faibles de détenus qui ne reçoivent pas la plupart de leur temps à l’extérieur de la cellule et la plupart des deux heures de contacts humains. Bien que moins de 2 % n’aient pas reçu leurs deux heures et leurs quatre heures la plupart des jours à l’Établissement de Stony Mountain, environ un quart ou plus n’ont pas reçu leurs heures dans les autres établissements de la même région (Prairies) et d’autres régions (voir le tableau 8).

Tableau 8 : Exemple de variation entre les établissements de l’expérience de l’isolement cellulaire dans les UIS (2020, 2021 et 2022)
Établissement Groupe de détenus Pourcentage de tous les séjours de 16 jours et plus pendant lesquels le détenu n’a pas reçu, la plupart du temps, ses 4 heures de sortie à l’extérieur de la cellule et ses 2 heures de contact humainNote de table i Nombre total de séjours-personnes
Stony Mountain Non autochtones 0,8 % 119
Autochtones 1,5 % 394
Autres UIS des Prairies Non autochtones 25,5 % 345
Autochtones 22,8 % 534
UIS dans les quatre autres régions Non autochtones 24,7 % 2 418
Autochtones 29,9 % 1 159
Total des séjours 23,4 % 4 969
Note de table i

Cette catégorie utilise les mêmes définitions que celles utilisées dans le tableau précédent.

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Le tableau 8 montre qu’il est possible de faire beaucoup mieux que le rendement global du SCC. Tout d’abord, lorsque nous avons vu les résultats relatifs à l’Établissement de Stony Mountain, nous avons pensé que cela pourrait être en lien avec la gestion différentielle des détenus autochtones dans cet établissement. Toutefois, lorsque nous avons examiné séparément les détenus autochtones et non autochtones, nous constatons que chaque groupe se porte beaucoup mieux (sur cette mesure combinée) à Stony Mountain que les détenus d’autres établissements de la région des Prairies et d’ailleurs au Canada. La question à laquelle ces données exigent une réponse est simple : s’il est possible de faire beaucoup mieux dans un établissement, pourquoi d’autres établissements ne peuvent-ils pas atteindre cette norme?

Il convient de répéter que le SCC a l’obligation indéniable d’atteindre l’objectif législatif du régime d’UIS : que les détenus doivent passer au moins le temps minimum à l’extérieur de la cellule établi par la loi, et qu’une partie de ce temps doit impliquer une interaction humaine réelle. Le présent Comité n’a pas effectué d’étude approfondie sur les raisons pour lesquelles certains établissements sont beaucoup plus en mesure d’atteindre les objectifs législatifs sur l’UIS que d’autres. Nous estimons que cette responsabilité incombe directement au SCC. En réponse aux questions du Comité, les fonctionnaires du SCC nous ont dit qu’ils ont organisé des assemblées publiques pour solliciter des opinions sur les différences régionales et institutionnelles comme celles décrites ci-dessus et ont invité les organismes communautaires à participer à des activités significatives pour les détenus de l’UIS. Le Comité estime que ces efforts ne sont pas suffisants. Certains des établissements du SCC ont démontré qu’il est possible de se rapprocher beaucoup plus que la plupart de ses autres établissements de l’objectif législatif. Le SCC doit faire le travail nécessaire pour améliorer son dossier en fournissant aux détenus de l’UIS du temps passé en dehors la cellule et il doit ensuite mettre immédiatement en œuvre les changements nécessaires pour obtenir un rendement qui permettra d’établir une distinction claire entre les UIS et l’isolement préventif et les abus de l’isolement cellulaire.

Approche du SCC pour composer avec des détenus plus difficiles

Selon les renseignements accessibles au public du SCC, les UIS « prévoient la prestation, aux détenus, d’interventions plus structurées et efficaces qui sont adaptées aux risques et aux besoins particuliers qu’ils présentent, dans le but de favoriser leur réintégration dans la population carcérale régulière le plus rapidement possibleNote de bas de page 17 ». Cet objectif est intégré à l’un des « indicateurs clés de rendement » du SCC, soit le pourcentage de transfèrements d’une UIS qui font en sorte que le détenu reste dans la population générale pendant 120 jours. En d’autres termes, l’interprétation par le SCC de son mandat concernant les UIS est qu’il a l’obligation d’aider les détenus des UIS à changer de manière à ce qu’ils puissent réintégrés la population générale sans retourner dans l’UIS.

Le 23 mars 2023, date arbitraire de l’extraction des données par le SCC, 167 détenus étaient logés dans une UIS. Pour 125 de ces détenus (75 %), ce n’était pas leur premier séjour à l’UIS. Si les « interventions » qui ont lieu à l’UIS visent à empêcher les prisonniers de retourner à l’UIS, elles n’ont pas réussi dans 75 % de ces cas. Le Comité reconnaît que certains détenus sont difficiles et que ceux qui ont été dans une UIS une fois sont plus susceptibles que d’autres d’y retourner, par conséquent, la question des visites répétées n’est pas nécessairement un échec.

Toutefois, ce qui est plus préoccupant, c’est que sur ces 125 détenus ayant séjourné plus d’une fois dans une UIS, la plupart (77 %) ont été transférés dans deux UIS différentes ou plus. En fait, la tendance la plus courante pour ceux qui avaient séjourné à de multiples reprises dans une UIS était qu’ils avaient effectué leurs séjours dans différentes régions (73 des 125 détenus, soit 58 % des multiples séjours en UIS ce jour-là). Il n’est donc pas surprenant que la plupart de ces détenus aient séjourné dans plusieurs UIS dans plus d’une des cinq régions du SCC. En fait, 9 détenus avaient vécu dans une UIS dans les cinq régions du SCC.

Comme nous l’avons mentionné plus haut, nous ne suggérons pas que le SCC ait échoué parce que certains détenus ne sont pas transformés en un seul séjour dans une UIS. Toutefois, nous avons du mal à comprendre comment l’instabilité et l’imprévisibilité des transfèrements à une autre UIS, souvent dans différentes régions, sont logiques du point de vue correctionnel. Il est à noter que les détenus sont censés poursuivre leurs plans correctionnels pendant qu’ils se trouvent dans une UIS, mais il est difficile de voir comment les plans correctionnels peuvent être mis en œuvre de manière efficace avec ce degré de perturbation et d’absence de continuité. En outre, nous savons qu’une proportion importante des détenus en UIS a indiqué des problèmes de santé mentale. Les relations thérapeutiques sont difficiles à forger dans un pénitencier, et il semble peu probable que des transfèrements fréquents rendent la tâche plus facile.

Tout en faisant le suivi de ces 125 prisonniers qui ont fait des « séjours multiples dans une UIS », nous avons remarqué autre chose. Les détenus identifiés comme étant noirs étaient plus susceptibles que les autres d’effectuer plusieurs séjours dans l’UIS dans différentes régions. Parmi les détenus ayant effectué des séjours multiples, 77,8 % des prisonniers noirs ont effectué leur séjour dans différentes UIS de différentes régions, par rapport à « seulement » 58,3 % des prisonniers autochtones et 53,1 % des prisonniers blancs. Une fois de plus, nous n’avons aucune explication pour cette conclusion.

Sur les 125 prisonniers détenus dans les UIS le 23 mars 2023 ayant fait deux séjours UIS ou plus (depuis novembre 2019), 40 % (N=50) ont eu un ou plusieurs séjours fractionnés, qui ont été comptés comme des séjours multiples, mais qui n’ont eu que quatre jours ou moins entre chaque séjour. Les prisonniers noirs étaient plus susceptibles que les membres d’autres groupes d’effectuer des « séjours fractionnés ». Parmi ceux qui ont effectué de multiples séjours dans une UIS, 55,6 % des détenus noirs ont effectué un « séjour fractionné », contre 38,3 % des détenus autochtones et 31,3 % des détenus blancs. Comme auparavant, nous n’avons aucune explication à cette observation. Si la stabilité dans l’exécution des programmes et du traitement est importante, alors l’incertitude et l’imprévisibilité des séjours qui sont fractionnés (souvent à la suite d’un déplacement vers un autre établissement ou une autre région) nous semblent au pire un faux-fuyant et, du moins, contre-productives.

Si l’on examine de manière plus générale les données administratives que nous avons sur les prisonniers dans une UIS, 2 257 personnes différentes ont commencé leur séjour dans l’UIS entre le 1er janvier 2020 et le 31 décembre 2022. Près de la moitié d’entre eux y ont séjourné plusieurs fois au cours de cette période (voir tableau 9).

Tableau 9 : Prévalence des séjours multiples dans une UIS chez les détenus ayant effectué au moins un séjour dans une UIS
Prisonniers séjournant une ou plusieurs fois dans une UIS – du 1er janvier 2020 au 31 décembre 2022 Nombre Pourcentage
Seulement 1 séjour en UIS 1 176 52,1
Multiples séjours dans une seule UIS et une seule région 474 21,0
Multiples séjours dans une UIS dans différentes UIS, mais de la même région 201 8,9
Multiples séjours dans différentes UIS de différentes régions 406 18,0
Total 2 257 100,0

Note : Parmi les séjours multiples (N=1 081), 37 % (N=406) ont effectué leur séjour dans différentes UIS de différentes régions.

Les données indiquent que le SCC continue de gérer des détenus difficiles par des transfèrements interrégionaux et intrarégionaux. Toutefois, nous doutons beaucoup du fait que le déplacement d’un prisonnier vers des UIS de différentes régions fasse partie de son plan correctionnel ou qu’il aide à résoudre les problèmes sous-jacents qui les rendent « difficiles ». À l’époque de l’isolement préventif, les transfèrements de prisonniers difficiles vers d’autres établissements et entre les régions étaient fréquents. Le délestage des cas difficiles a entraîné des conséquences tragiques (p. ex. la mort d’Ashley SmithNote de bas de page 18). Un autre aspect de la préoccupation liée à tout ce mouvement est le fonctionnement de la politique qui régit les transfèrements. Les gestionnaires d’établissement signalent que le processus d’approbation est « constipé » en raison du très grand nombre de demandes. Cela empêche les tentatives de mettre en œuvre des décisions de transfèrement en temps opportun pour déplacer un détenu prêt à intégrer la population générale à l’extérieur d’une UIS.

Deux questions distinctes, mais connexes, doivent être examinées de plus près. Tout d’abord, la question des séjours multiples en UIS où les détenus sont fréquemment déplacés d’un endroit à un autre exige une attention particulière. Ensuite, plus généralement, le déplacement involontaire d’un détenu d’une région à l’autre soulève ses propres problèmes. Toutefois, ce dernier enjeu doit être examiné dans l’ensemble du SCC, et pas seulement dans le contexte des UIS.

Santé mentale et UIS

Il n’est pas surprenant qu’il y ait un lien entre la santé mentale et le temps passé dans l’UIS. Il semble probable que cette relation s’écoule dans les deux sens; plus précisément, les détenus aux prises avec des problèmes de santé mentale sont plus susceptibles d’être transférés dans une UIS, et ceux qui sont placés en détention dans une UIS sont plus susceptibles de développer des problèmes de santé mentale ou d’en accroître la gravité.

Le site Web du SCC, en ce qui a trait aux détenus dans les UIS, affirme que :

« Chaque personne est aiguillée vers les Services de santé en vue d’une évaluation de la santé, y compris de la santé mentale, dans les 24 heures suivant son transfèrement vers une UIS. Les personnes dans les UIS reçoivent la visite quotidienne d’un professionnel de la santé afin de surveiller leurs besoins en soins de santé. Des évaluations de la santé et de la santé mentale sont offertes aux personnes dans les UIS tout au long de leur séjour dans l’UISNote de bas de page 19. »

Même s’il est peu probable qu’un séjour prolongé dans une UIS soit recommandé comme traitement par un professionnel compétent en santé mentale, il convient de noter que les personnes identifiées par le SCC comme étant confrontées à une détérioration de l’état de santé mentale sont beaucoup plus susceptibles que les autres d’être détenues dans des UIS pendant de très longues périodes (tableau 10). Il est important de noter que le SCC déclare expressément que les UIS ne sont pas un mécanisme de traitementNote de bas de page 20.

Tableau 10 : État de la santé mentale (tel qu’il est consigné par le SCC) et probabilité d’un séjour prolongé de 62 jours ou plus dans l’UIS (2020, 2021 et 2022)
État de santé mentale Proportion des personnes ayant des besoins en santé mentale qui ont séjourné en UIS 62 jours ou plus
Besoins faibles ou certains en santé mentale, mais qui ne s’aggravent pas 21,7 %
Besoins élevés en santé mentale, mais qui ne s’aggravent pas 17,5 %
Divers besoins en santé mentale, qui s’aggravent 40,5 %

Le Comité n’a pas été en mesure de déterminer si la prolongation de la durée du séjour des personnes dont la santé mentale se détériore résultait du fait que le SCC n’avait pas trouvé d’intervention plus appropriée pour un détenu dont la santé mentale se détériore, ou s’il est convaincu que le temps supplémentaire passé dans une UIS est la seule option disponible pour ces personnes.

Quoi qu’il en soit, le tableau 10 montre que 40,5 % des personnes ayant des problèmes de santé mentale qui s’aggravaient (selon l’évaluation du SCC lui-même) ont été maintenues dans l’UIS pendant 62 jours ou plus. Lorsque l’on examine les personnes ayant des problèmes de santé mentale faibles ou certains, mais qui n’ont pas été évalués comme s’aggravant, on constate que « seulement » 21,7 % sont maintenues dans l’UIS pendant 62 jours ou plus.

Si la détérioration de l’état de santé mentale est en partie liée à l’expérience d’isolement dans une cellule de l’UIS, il est inacceptable que ce groupe soit particulièrement susceptible de passer de longs séjours (62 jours ou plus) dans une UIS.

Nous n’avons pas de données sur les raisons pour lesquelles le SCC maintient ce groupe particulièrement vulnérable dans les UIS pendant de très longues périodes. Ces données sont particulièrement troublantes compte tenu de la décision des tribunaux selon laquelle le transfèrement en isolement préventif de détenus ayant des problèmes de santé mentale était très problématique.

Dans notre échantillon de données, 56 % des personnes dont l’état de santé mentale se détériorait et qui étaient détenues dans une UIS pendant 62 jours ou plus étaient des détenus autochtones. On peut comparer cela au fait que « seulement » 42 % de tous les séjours dans les UIS impliquaient des détenus autochtones. Cette proportion est plus élevée que la proportion d’Autochtones dans les pénitenciers canadiens, à savoir 32 % en 2020-2021). Autrement dit, les personnes dont l’état de santé mentale se détériore sont de façon disproportionnée des Autochtones et ont une probabilité disproportionnée de passer de longs séjours d’au moins 62 jours dans les UIS. Des données détaillées (publiées au début de 2023 dans notre mise à jour sur la santé mentale) montrent que cet effet est évident au fil des ans et qu’il peut être observé dans chacune des cinq régions du SCC.

Dans le contexte des questions relatives à la santé mentale et aux détenus de l’UIS, la préoccupation concernant le traitement des détenus est particulièrement vive s’ils ont subi la « double épreuve » consistant en des séjours présentant les caractéristiques suivantes :

Une proportion de 39 % des personnes ayant des besoins en santé mentale (tel que défini par le SCC) ont vécu ces circonstances, comparativement à « seulement » 30 % des personnes n’ayant pas de besoins en santé mentale (tel que défini par le SCC).

Les personnes qui, au cours des trois années de fonctionnement des UIS, ont fait de multiples séjours dans des UIS sont beaucoup plus susceptibles d’avoir été identifiées par le SCC comme ayant des problèmes de santé mentale que celles qui n’ont fait qu’un seul séjour. Comme l’indique le tableau 11, 25,2 % des personnes ayant fait un séjour dans l’UIS ont indiqué qu’il y avait des problèmes de santé mentale, par rapport à 59,3 % des personnes ayant fait cinq séjours ou plus dans une UIS. Ces constatations deviennent encore plus troublantes lorsqu’on les considère dans le contexte des déclarations très délibérées du SCC selon lesquelles les UIS ne sont pas des unités de santé mentale, et que les détenus qui ont besoin de soins et de traitements en santé mentale recevront des soins et des traitements appropriés dans leurs établissements parents ou dans les centres régionaux de traitement (CRT).

Tableau 11 : Pourcentage de détenus identifiés comme ayant un problème de santé mentale qui ont séjourné une fois ou plus dans une UIS (2020, 2021 et 2022)
Nombre de séjours en UIS Au cours d’un séjour à l’UIS, a-t-on signalé que la personne avait des problèmes de santé mentale? Pourcentage total (ligne) Nombre de personnes ayant autant de séjours-personnes dans l’UIS
Non Oui
Un 74,8 % 25,2 % 100 % 1 073
Deux 67,4 % 32,6 % 100 % 399
Trois 60,5 % 39,5 % 100 % 243
Quatre 57,6 % 42,4 % 100 % 118
Cinq ou plus 40,7 % 59,3 % 100 % 182
Tous les détenus ayant séjourné dans une UIS au moins une fois 67,5 % 32,5 % 100 % 2 015

Dans le tableau 12, nous constatons que les personnes qui ont des besoins « considérables ou élevés » en santé mentale sont plus susceptibles de subir le « traitement » dont nous avons parlé précédemment, à savoir être placées dans plusieurs UIS dans différentes régions. Comme nous l’avons indiqué plus tôt, il se peut fort bien que les transfèrements vers une autre UIS ou une autre région soient considérés comme un moyen d’expulser un détenu difficile d’un établissement particulier. Il n’est donc pas surprenant que les personnes qui ont de graves problèmes de santé mentale soient les plus susceptibles de recevoir ce « traitement ».

Tableau 12 : Besoins en santé mentale et prévalence de séjours multiples dans les UIS (2020, 2021 et 2022)
Nouvelle mesure des problèmes de santé mentale. À un moment donné, au cours du séjour à l’UIS, les besoins en santé mentale ont été évalués comme suit : Description des séjours en UIS Total % Total des séjours
Seulement 1 séjour en UIS Multiples séjours dans une seule UIS et une seule région Multiples séjours dans différentes UIS, mais dans la même région Multiples séjours en UIS dans différentes UIS de différentes régions
Aucun 58,3 % 19,8 % 8,3 % 13,7 % 100 % 1 509
Certain 44,1 % 24,4 % 8,2 % 23,2 % 100 % 487
Considérable ou supérieur 31,4 % 21,5 % 13,8 % 33,3 % 100 % 261
Total 52,1 % 21,0 % 8,9 % 18,0 % 100 % 2 257

L’article 116 de la Directive du commissaire 711Note de bas de page 21 stipule que :

Tous les membres du personnel qui travaillent auprès des détenus :

  1. collaboreront avec le personnel des soins de santé pour veiller à ce que l’on réponde adéquatement aux besoins du détenu en matière de santé en fonction des évaluations des professionnels de la santé agréés;
  2. renverront, conformément à la politique pertinente et aux ordres permanents de l’établissement, le cas d’un détenu à un professionnel de la santé agréé lorsqu’ils croient que la détention dans une UIS a des effets néfastes sur la santé du détenu […]
  3. informeront le directeur de l’établissement de l’aiguillage vers un professionnel de la santé agréé.

Les centres régionaux de traitement (CRT) du SCC sont pertinents dans le contexte d’une discussion sur la santé mentale des détenus. Pour les 167 détenus placés en UIS le 23 mars 2023, nous avons reçu des données sur leurs « antécédents en établissement » concernant les 2 ou 3 établissements qui les avaient hébergésNote de bas de page 22. Trente de ces 167 détenus avaient passé au moins un certain temps dans un (ou plusieurs) CRT dans l’un de leurs deux ou trois établissements précédents.

Ci-dessous, nous examinons deux dossiers choisis au hasard, provenant de ces 30 prisonniers. Il est à noter que sans examiner les dossiers médicaux, il est difficile de savoir exactement quelle est la relation entre les UIS et les CRT et que nous n’avons pas examiné l’ensemble des antécédents en établissement des 30 détenusNote de bas de page 23.

Le premier est Pierre (nom fictif), un homme noir de 20 ans, admis au SCC en mars 2016 avec une peine d’une durée indéterminée. Ses mouvements en établissement sont indiqués au tableau 13.

Tableau 13 : Expérience des UIS de Pierre
Numéro de l’étape Établissement Date de début Date de fin Problèmes de santé mentale Expériences dans l’UIS (normes minimales)
1 UIS 28 juin 2021 20 septembre 2021 Aucun Séjour prolongé, n’a pas réussi à obtenir les normes minimales de 2 et 4 heures
2 UIS 29 novembre 2021 3 décembre 2021 Aucun Séjour relativement court
3 UIS 14 janvier 2022 14 février 2022 Aucun Séjour prolongé, n’a pas obtenu 4 heures, mais 2 heures
4 UIS 14 juin 2022 10 août 2022 Certain Séjour prolongé, n’a pas obtenu 4 heures, mais 2 heures
5 UIS (Est-1) 9 janvier 2022 12 janvier 2023 Considérables Séjour relativement court
6 Centre régional de traitement, Est-1 12 janvier 2023 30 janvier 2023
7 UIS (Est-1) 30 janvier 2023 27 mars 2023 Considérables Séjour prolongé, n’a pas réussi à obtenir les normes minimales de 2 et 4 heures

En ce qui concerne la compréhension de la relation entre les UIS et les CRT, il est peut-être plus facile de partir de l’étape 7 et d’examiner ce qui s’est passé avant. À l’étape 7, Pierre a passé environ 56 jours dans une UIS. Le SCC a déterminé qu’il avait des problèmes de santé mentale considérables. Pendant ce séjour, il n’a rien reçu qui se rapprochait d’un minimum de 4 heures à l’extérieur de la cellule et de deux heures de contact humain réel. En effet, la majeure partie de son temps passé dans les UIS satisferait à la définition internationale de l’isolement cellulaire (deux heures ou moins à l’extérieur de la cellule).

Pierre avait toutefois été transféré directement d’un CRT (où il avait passé 18 jours) à l’UIS. Avant cela, il avait 5 séjours dans des UIS, bien que ses problèmes de santé mentale n’aient été remarqués qu’au quatrième séjour. Il est difficile de se demander pourquoi l’UIS Est-1 (à l’étape 7) était le meilleur endroit pour envoyer Pierre.

Dans un autre cas, George (nom fictif), un homme des Premières Nations âgé de 20 ans et purgeant une peine de 10 ans ou plus, a commencé sa peine avec le SCC le 12 décembre 2016.

Il nous est difficile d’évaluer le traitement de George par le SCC, sauf de dire que son court séjour au CRT Ouest-1 semble peu important dans cette trajectoire puisqu’il a subi trois séjours subséquents à l’UIS (dans trois des cinq régions du Canada).

Il faut examiner en profondeur la pratique du Service de transférer les détenus de l’UIS aux CRT et de retourner ces détenus aux UIS après leur congé du CRT. L’examen doit tenir compte des raisons du transfèrement aux CRT, du traitement reçu, des raisons du retour dans un établissement régulier et du motif du transfèrement dans une UIS.

Mécanisme de surveillance externe indépendant

Sécurité publique Canada informe les visiteurs de son site Web que :

« Les décideurs externes indépendants (DEI) veillent à ce que les décisions relatives à l’incarcération d’un détenu dans une unité d’intervention structurée (UIS) soient soumises à un examen et à une évaluation constante au cours de ce placement. Les DEI sont nommés par le ministre de la Sécurité publique et travaillent sans lien de dépendance avec le Service correctionnel du Canada (SCC)Note de bas de page 24. »

Comme on le verra, cette citation soulève l’importante question suivante : Quelle est la portée réelle de l’indépendance?

Le SCC fait remarquer ce qui suit :

« Les décideurs externes indépendants examinent les cas des détenus de façon continue et en temps réel, puis formulent des recommandations liées aux conditions de détention et à la durée de détention. Leurs décisions sont exécutoires. » (le passage en évidence l’est dans le texte original)Note de bas de page 25

Il est pertinent de noter que, dans la version originale du projet de loi C-83, qui a été déposée pour la première fois par le gouvernement et établissait les UIS, les articles créant les DEI n’existaient pas. Il n’y avait pas non plus de référence à un organisme « indépendant » qui évaluerait les décisions du SCC de garder les prisonniers dans les UIS, ou qui surveillerait ou examinerait leur traitement pendant leur séjour. Ce n’est qu’une fois que cette lacune a été constatée et que le comité de la Chambre des communes ayant examiné la loi après la deuxième lecture a recommandé des changements, que des modifications créant les décideurs externes indépendants (DEI) ont été ajoutées au projet de loi et sont devenues partie intégrante de la mise en œuvre de ces nouvelles unités du SCC.

Comme l’a fait remarquer le député qui a présenté les amendements :

« L’amendement le plus significatif est celui que j’ai proposé aujourd’hui à l’étape du rapport et qui prévoit un contrôle indépendant des unités d’intervention structurée […]

L’amendement que je propose prévoit la nomination d’un décideur externe indépendant qui contrôlera un certain nombre de situations dans lesquelles peuvent se trouver les détenus incarcérés dans des unités d’intervention structurée. Il vérifiera par exemple si des détenus se prévalent de la possibilité qui leur est offerte de sortir de leur cellule, ou lorsqu’il y a désaccord au sujet de la recommandation d’un fournisseur de soins de santé visant le transfert hors de l’unité.

Grâce à cet amendement, si un détenu n’a pas droit au nombre minimal requis d’heures hors de sa cellule ou au nombre minimal requis d’heures de contacts humains pendant 5 jours consécutifs ou pendant 15 jours sur 30, le décideur externe indépendant pourra faire enquête afin de déterminer si le Service correctionnel a pris toutes les mesures utiles pour que le détenu en cause jouisse de ce droit, recommander au Service correctionnel des moyens de corriger la situation et, si ce dernier ne s’est pas exécuté dans les sept jours, lui ordonner que le détenu concerné soit retiré de l’unité d’intervention structurée où il se trouve et en aviser l’enquêteur correctionnel.

Le décideur externe indépendant pourra également prendre connaissance des différents cas et donner des directives dans l’éventualité où le comité directeur de la santé du Service correctionnel serait en désaccord avec un professionnel de la santé recommandant de transférer un détenu hors d’une unité d’intervention structurée ou d’en modifier les conditions d’incarcération.

Enfin, le décideur externe indépendant devra étudier le dossier de chaque détenu passant plus de 90 jours dans une unité d’intervention structurée et tous les 60 jours par la suite.

La création d’un mécanisme externe de surveillance a obtenu l’appui de la majorité des témoins entendus par le comité. Je me réjouis également que nous ayons pu donner suite aux commentaires de ces gens et proposer ce mécanisme indépendant, qui s’avérera d’une utilité capitaleNote de bas de page 26. »

Il y a un ensemble d’examens importants qui font intervenir les DEI dans le processus de l’UIS. Tout d’abord, ils examinent les cas dans lesquels :

« […] pendant cinq jours consécutifs ou un total de quinze jours au cours d’une période de trente jours, le détenu incarcéré dans l’unité d’intervention structurée n’a pas passé au moins quatre heures par jour en dehors de sa cellule ou n’a pas, au moins deux heures par jour, interagi avec autrui, le décideur externe indépendant doit, dès que possible, déterminer si le Service a pris toutes les mesures utiles pour accorder au détenu les possibilités visées et pour encourager celui-ci à s’en prévaloir. » (par. 37.83(1) de la LSCMLC).

Le Comité ne s’est pas encore penché sur les examens du temps à l’extérieur de la cellule; toutefois, nous savons que les détenus n’obtiennent pas systématiquement le nombre d’heures minimum à l’extérieur de la cellule, tel qu’il est indiqué dans la loi.

La deuxième série d’examens portant sur la durée du séjour a, en fait, reçu une assez grande attention de la part du Comité consultatif et des recherches effectuées sur les UIS avant la création du présent ComitéNote de bas de page 27. Le Comité a abordé le fonctionnement du modèle de DEI pour ce qui est de composer avec la durée de séjour à l’UIS dans deux rapports distincts, dont son rapport annuel 2021 à 2022 et une mise à jour thématique portant sur le modèle de DEI, qui a été achevé à la fin de 2022 et publié par le gouvernement environ deux mois plus tard.

Comme il est indiqué dans le rapport annuel de 2022, les DEI reçoivent leur formation en partie du SCC. De plus, ils dépendent en grande partie du SCC pour les renseignements sur lesquels ils fondent leurs décisions. Le SCC doit fournir au DEI tous les renseignements dont il dispose et demandés par le DEI (LSCMLC art. 37.7)Note de bas de page 28. En outre, personne n’agit spécifiquement pour le compte du détenu afin d’assurer une divulgation complète et en temps opportun ou pour contester l’exactitude du dossier partagé. De manière anecdotique, on a indiqué au Comité que les détenus d’une UIS avaient de la difficulté à consulter un conseiller lorsqu’ils se présentent à une audience ou à un examen. Cela soulève une nouvelle préoccupation en ce qui a trait à l’équité du processus de surveillance.

Nous croyons savoir que le DEI reçoit généralement un ensemble de renseignements « normalisés » pour chaque cas qu’il doit examiner. Les détenus dans une UIS doivent avoir l’occasion de fournir des renseignements écrits au DEI (LSCMLC art. 37.72) et le DEI peut, s’il le souhaite, communiquer directement avec les détenus (LSCMLC art. 37.73). Avant de prendre une décision, le DEI doit fournir au détenu les renseignements qu’il examine (ou un résumé de ces renseignements), mais il n’est pas tenu d’indiquer au détenu les renseignements qu’il a reçus qui ne sont pas explicitement pris en considération. De plus, certains renseignements peuvent ne pas être communiqués au détenu pour des raisons de sécurité ou de sûreté de toute personne ou de l’établissement ou pour des raisons d’« intérêt public » (LSCMLC art. 37.71).

Bien que les DEI soient tenus de mettre à la disposition d’un détenu les décisions se rapportant à lui, les décisions, de façon plus générale, ne sont pas publiques. En effet, bien que les DEI puissent (LSCMLC art. 37.77) publier ou diffuser des renseignements, ils ne sont pas tenus de le faire. Dans la mesure où nous pouvons déterminer, à une ère de l’information où il serait facile d’afficher ou de fournir des décisions anonymisées des DEI, un échantillon représentatif, ou même l’ensemble complet, des décisions des DEI sur le « temps passé dans l’UIS » ou sur tout autre problème ne sont tout simplement pas disponibles. Par conséquent, le Comité consultatif n’a pas encore été en mesure d’examiner la manière dont les DEI prennent des décisions importantes concernant les détenusNote de bas de page 29.

L’accès aux décisions des DEI serait utile, mais ce ne serait pas suffisant. Nous ne sommes pas en mesure de tirer des conclusions quant aux renseignements que les DEI jugent convaincants ou quant à l’importance accordée à ces renseignements. Nous savons qu’il y a des écarts importants dans les décisions des DEI. Se penchant sur trois années de décisions (2020, 2021, et 2022), le tableau 14 révèle que deux DEI n’ont jamais rendu une seule fois de décision visant à retirer le détenu de l’UIS. Cela contraste avec deux autres DEI, qui ont rendu cette décision dans 43,9 % des cas qu’ils ont examinés, ce qui contraste avec les dix autres DEI, qui ont rendu cette décision dans 12,4 % de leurs cas. Cette variation ne semble pas avoir changé au fil du temps.

Tableau 14 : Décisions prises par chaque DEI (2020, 2021, et 2022) sur la question de savoir si le détenu doit être retiré de la cellule de l’UIS
DEI Décision du DEI Total des décisions (%) Nombre total de décisions
Le détenu ne devrait pas rester dans l’UIS Le détenu devrait rester dans l’UIS
DEI nos 2 et 13 0 % 100 % 100 % 113
DEI nos 3 et 8 43,9 % 56,1 % 100 % 82
Toutes les autres décisions des DEI 12,4 % 87,6 % 100 % 461
Total 14,2 % 85,8 % 100 % 656

La variation observée ici peut bien se rapporter à la formation que les DEI reçoivent, aux renseignements qu’ils reçoivent, au contexte professionnel des DEI ou à la variation parmi les DEI dans leur tendance à accepter les recommandations des autorités. Il ne faut pas oublier, bien sûr, qu’il existe des écarts importants dans la prise de décisions entre les autres responsables de la justice pénale (p. ex. les juges au moment de la détermination de la peine). Il n’est donc pas étonnant que les décisions varient d’un DEI à l’autre pour des cas semblables. Nonobstant ce qui précède, les décisions sont généralement cohérentes dans le temps. En 2020, par exemple, 13,3 % des décisions étaient de retirer le détenu; ce pourcentage est passé à 15,5 % en 2021 et a reculé à 14 % en 2022.

Il faut également tenir compte du moment où les examens des DEI ont lieu. Comme nous l’avons souligné, définir ce qui constitue un séjour prolongé dans une UIS relève de l’arbitraire (ce pourquoi nous référons d’emblée à la norme internationale des Règles Mandela). La LSCMLC ne définit pas explicitement cette notion, sauf pour dire que les séjours dans les UIS devraient être « aussi courts que possible ». Or, il ne s’agit pas d’une valeur normée.

Il vaut la peine de tenir compte de la liste des « révisions » qui ont lieu avant qu’un DEI ne prenne connaissance du casNote de bas de page 30. En lisant cette liste (pour les détenus qui se trouvaient dans un établissement doté d’une UIS), il convient également de garder à l’esprit que 15 jours est le point internationalement accepté après lequel les autorités pénitentiaires devraient être particulièrement préoccupées par l’imposition de pratiques les plus restrictives, comme les conditions d’isolement. Étant donné que l’isolement prolongé (au-delà de 15 jours consécutifs) a attiré l’attention des tribunaux canadiens, le fait de ne pas avoir examiné le temps passé dans une cellule de l’UIS avant 60 jours ne peut être considéré comme une garantie acceptable. Le calendrier des examens ne permet pas d’atteindre l’objectif de courts séjours :

Jour 1
Le détenu est transféré dans une UIS
Jour 30
À cette date, le directeur d’établissement doit avoir déterminé si le détenu devrait demeurer dans l’UIS (alinéa 37.3(1)b))
Jour 1
À cette date (et tous les 60 jours par la suite), la commissaire (ou une personne désignée par elle) doit avoir revu le dossier pour déterminer si le détenu doit demeurer dans l’UIS. (LSCMLC art. 37.4). Si la « commissaire » décide que le détenu doit y demeurer plus longtemps, le dossier est retourné à un DEI
Jour 90
Le DEI décide si le prisonnier doit demeurer dans l’UIS (LSCMLC art. 37.8)

Cela peut sembler simple; cependant, les données du SCC laissent entendre que ce n’est pas le cas. Dans le tableau 15, nous vérifions si des cas ont été envoyés aux DEI pour examen au 75e jour du séjour du prisonnier dans l’UIS, soit à mi-chemin entre l’examen de la commissaire et le jour où les DEI rendent leur décision. Le tableau 15 montre qu’environ 30 % des cas comportant des séjours de plus de 75 jours ne sont pas envoyés aux DEI. Cela change peu au fil du temps. En ce qui concerne le nombre réel, cela signifie qu’au cours de cette période de trois ans, il y a eu 821 cas où le séjour était supérieur à 75 jours, et 261 d’entre eux n’ont jamais été envoyés à un DEI pour examen. Même chez les personnes qui sont restées plus de quatre mois (N=336), 30 % (N=102) n’ont jamais été envoyées à un DEI malgré l’obligation prévue par la loi d’avoir une décision du DEI dans les 90 jours suivant leur séjour à l’UIS.

Tableau 15 : Pour les personnes-séjours dans une UIS de plus de 75 jours, le cas a-t-il été envoyé à un DEI pour examen du séjour « tel que prévu dans la loi »?
Début du séjour de la personne à l’UIS Le cas a-t-il déjà été envoyé à un DEI pour un examen de la durée du séjour? Total (%) Nombre total de cas
Le cas n’a jamais été envoyé à un DEI Cas envoyés une ou plusieurs fois
2020 33,8 % 66,2 % 100 % 328
2021 31,5 % 68,5 % 100 % 279
2022 29,0 % 71,0 % 100 % 214
Total 31,8 % 68,2 % 100 % 821

Ces constatations étaient déconcertantes. Les dossiers des détenus n’ont pas été soumis à l’examen, même si l’examen était exigé par la loi. La seule explication que nous avons est que le DEI « perd sa compétence » une fois que le directeur d’établissement ou la commissaire (ou une personne déléguée) détermine qu’un détenu devrait être transféré à l’extérieur de l’UIS. La justification est qu’un examen externe indépendant n’est pas nécessaire si la décision de transférer a déjà été prise. Le problème est que la décision de transférer un détenu à l’extérieur de l’UIS et la mise en œuvre de cette décision sont deux choses différentes. De nombreux détenus sont restés pendant des semaines ou des mois dans une cellule de l’UIS malgré l’existence d’une ordonnance de déplacer le détenu. Cette situation nécessite une modification législative.

Lorsque nous avons présenté un rapport sur la variation régionale à la fin de 2022 dans la mise à jour du Comité consultatif sur la mise en œuvre de l’UISNote de bas de page 31, nous avons remarqué que cette variation était importante.  Et cette variation persiste. Il semble, par exemple, qu’il est moins probable que le détenu soit retiré de l’UIS dans les régions des Prairies et du Pacifique (environ 3 %) qu’en Ontario (19,8 %; voir le tableau 16). Nous constatons une variation similaire pour chacune des trois années pour lesquelles nous avons des données. Dans ce même rapport de décembre 2022, nous avons d’abord remarqué que les détenus qui avaient une décision du DEI de les transférer hors de l’UIS étaient, dans de nombreux cas, gardés dans l’UIS au moins 61 jours après que le cas ait été présenté au DEI. Au cours des trois dernières années, si l’on examine seulement les personnes qui ont fait l’objet d’un examen du DEI et qui ont ensuite été libérées (N=237), 36,4 % des personnes dont la décision du DEI était de ne pas demeurer dans l’UIS se trouvaient encore dans l’UIS plus de 60 jours après l’envoi de leur cas à un DEI. Seuls 10,5 % des cas pour lesquels le DEI a indiqué qu’ils devraient rester dans l’UIS ont fini par rester aussi longtemps (voir le tableau 17). Ce problème était vrai pour chacune des trois années. En effet, comme nous l’avons souligné dans notre mise à jour de décembre 2022, si un détenu souhaite sortir de l’UIS sans y faire un long séjour après que la décision ait été rendue, il est préférable que le DEI n’ordonne pas leur transfèrement.

Pour conclure cette section, nous tenons à préciser le fait que nous sommes favorables à une surveillance externe indépendante. Les préoccupations que nous avons relevées ne découlent pas du concept du modèle de surveillance du DEI, mais de son application. Nous estimons que le cadre législatif est inadéquat. Le déploiement des examens du DEI est trop complexe et déroutant. Les délais d’examen ne sont pas bien harmonisés sur l’objectif de faire en sorte que les séjours dans l’UIS soient aussi courts que possible, et ils ne reflètent pas les normes émergentes reconnues à l’échelle internationale interdisant des conditions d’isolement pendant plus de 15 jours consécutifs.

Tableau 16 : Décisions des DEI dans les régions et au fil du temps
Année d’envoi du cas au DEI Région où se trouvait le détenu lorsque le cas a été envoyé au DEI Décision du DEI Total % Nombre total de décisions
Le détenu ne doit PAS rester dans l’UIS Le détenu devrait demeurer à l’UIS Transféré hors de l’UIS avant que la décision soit rendue
2020 Atlantique 11,3 % 54,8 % 33,9 % 100 % 62
Québec 13,5 % 56,3 % 30,2 % 100 % 126
Ontario 22,0 % 53,7 % 24,4 % 100 % 41
Prairies 2,4 % 67,7 % 29,9 % 100 % 167
Pacifique 7,7 % 51,3 % 41,0 % 100 % 39
Total 9,2 % 59,8 % 31,0 % 100 % 435
2021 Atlantique 25,0 % 34,4 % 40,6 % 100 % 32
Québec 16,4 % 35,6 % 47,9 % 100 % 73
Ontario 21,9 % 37,5 % 40,6 % 100 % 32
Prairies 3,3 % 56,0 % 40,7 % 100 % 182
Pacifique 0,0 % 52,7 % 47,3 % 100 % 55
Total 8,8 % 48,1 % 43,0 % 100 % 374
2022 Atlantique 16,7 % 54,2 % 29,2 % 100 % 24
Québec 9,5 % 23,8 % 66,7 % 100 % 42
Ontario 13,0 % 26,1 % 60,9 % 100 % 23
Prairies 4,3 % 43,8 % 51,9 % 100 % 162
Pacifique 3,8 % 43,4 % 52,8 % 100 % 53
Total 6,6 % 40,5 % 53,0 % 100 % 304
Total Atlantique 16,1 % 49,2 % 34,7 % 100 % 118
Québec 13,7 % 44,4 % 41,9 % 100 % 241
Ontario 19,8 % 41,7 % 38,5 % 100 % 96
Prairies 3,3 % 56,0 % 40,7 % 100 % 511
Pacifique 3,4 % 49,0 % 47,6 % 100 % 147
Total 8,4 % 50,6 % 41,1 % 100 % 1,113
Tableau 17 : Personne qui a fait l’objet d’un seul examen par le DEI et qui a ensuite été libérée : Durée dans l’UIS jusqu’à sa libération par la décision du DEI
Année de renvoi du cas du DEI Décision du DEI Décision du DEI Total % Nombre total de décisions
Le séjour a pris fin dans les 30 jours suivant le renvoi au DEI Le séjour a pris fin dans les 31 à 60 jours suivant le renvoi au DEI Le séjour a pris fin 61 jours ou plus après le renvoi au DEI
2020 Le détenu ne devrait pas rester dans l’UIS 31,3 % 40,6 % 28,1 % 100 % 32
Le détenu devrait rester dans l’UIS 20,3 % 71,9 % 7,8 % 100 % 64
Total 24,0 % 61,5 % 14,6 % 100 % 96
2021 Le détenu ne devrait pas rester dans l’UIS 5,0 % 45,0 % 50,0 % 100 % 20
Le détenu devrait rester dans l’UIS 14,0 % 74,0 % 12,0 % 100 % 50
Total 11,4 % 65,7 % 22,9 % 100 % 70
2022 Le détenu ne devrait pas rester dans l’UIS 35,7 % 28,6 % 35,7 % 100 % 14
Le détenu devrait rester dans l’UIS 15,8 % 71,9 % 12,3 % 100 % 57
Total 19,7 % 63,4 % 16,9 % 100 % 71
Total Le détenu ne devrait pas rester dans l’UIS 24,2 % 39,4 % 36,4 % 100 % 66
Le détenu devrait rester dans l’UIS 17,0 % 72,5 % 10,5 % 100 % 171
Total 19,0 % 63,3 % 17,7 % 100 % 237

Conclusions

Le Comité consultatif a formulé trois conclusions claires qui découlent directement de ses constatations.

Conclusion 1 - Promesses non tenues

Le fonctionnement des unités d’intervention structurées n’est pas suffisamment conforme aux objectifs convenus des modifications législatives du projet de loi C-83 (42e législature, 1re session). Les promesses implicites faites lorsque le Parlement a modifié la loi en 2019 ne sont pas tenues.

Le présent rapport contient des détails sur l’incohérence entre l’intention du texte législatif et la pratique actuelle. On note que la durée des séjours dans les UIS, l’absence d’examen indépendant en temps opportun et l’incapacité d’atteindre le minimum de temps à l’extérieur de la cellule et d’activité humaine significative sont des problèmes évidents.

La réponse du SCC selon laquelle les détenus ne profitent pas assez des possibilités de quitter l’UIS n’est pas suffisante. Il a été démontré que les conditions d’isolement étaient nuisibles. Le fait d’attribuer aux détenus l’absence de temps minimum passé à l’extérieur de la cellule, dont plusieurs ont été identifiés comme ayant des problèmes de santé mentale, qui refusent les possibilités offertes par le SCC, revient à suggérer que le SCC n’a aucune responsabilité de prévenir l’automutilation si un détenu choisit de se blesser.

Il y a d’autres problèmes qui démontrent que l’exploitation des UIS est incompatible avec les objectifs de la loi. Comme nous l’avons documenté et comme l’a fait remarquer le Bureau de l’enquêteur correctionnel, le système d’examen par les DEI (décideurs externes indépendants) est inadéquat. Nous ne faisons pas de reproches aux DEI en tant que personne, mais au système lui-même. Nous estimons que ces décideurs « externes » ne sont pas suffisamment indépendants sur le plan de la structure du SCC puisque leur formation initiale provient du SCC, qu’ils dépendent principalement de l’information compilée par le SCC et qu’ils dépendent de plus en plus du SCC pour obtenir un soutien administratif.

Bien que les DEI soient des décideurs, nous avons constaté que dans un nombre important de cas, on ne leur demande pas de prendre des décisions en raison de lacunes dans la loi et que lorsqu’ils prennent des décisions, le SCC ne met pas nécessairement en œuvre ces décisions soi-disant « exécutoires ». Qu’est-ce que cela signifie d’avoir un décideur externe indépendant si le SCC ne donne pas suite à la décision en temps opportun, ou s’il ne le fait pas du tout?

Malgré les problèmes que nous avons recensés dans notre analyse du régime de l’UIS, il convient de rappeler que de nombreux détenus préfèrent l’isolement dans une UIS à l’alternative, qui est d’être placé dans la population carcérale régulière. Nous estimons que cela témoigne davantage de l’inadéquation de l’administration du reste du pénitencier par le SCC que de la conclusion du caractère adéquat des UIS. Autrement dit, quand les longs séjours dans des conditions d’isolement sont préférables à une solution de rechange, qu’est-ce que cela dit de la solution de rechange?

Conclusion 2 - Le fonctionnement des UIS ne s’améliore pas

Le fonctionnement des UIS ne s’améliore pas de manière significative. Le Comité reconnaît que l’on ne s’attendait pas que la mise en œuvre du régime de l’UIS soit facile et qu’au cours de la dernière année, soit décelé de très petites améliorations opérationnelles. Toutefois, nous avons examiné trois années complètes de données sur le fonctionnement des UIS et nous sommes très préoccupés par le fait qu’il existe très peu de données probantes démontrant l’amélioration importante du fonctionnement de ces unités. Autrement dit, il est peu probable que le système d’UIS s’améliore si le SCC continue d’exploiter les UIS comme il l’a fait depuis 2019.

Le tableau 2 montre qu’il y a peu de réduction du taux de séjours prolongés dans les UIS. Et ces données ne sont pas exactes pour les séjours fractionnés, transformant ainsi un long séjour problématique en deux séjours relativement courts plus ou moins problématiques. Les données ne tiennent pas compte non plus des séjours dans des cellules cachées (c.-à-d. des cellules qui ne sont pas à l’UIS), ni de « l’isolement sous un autre nom » ailleurs dans les établissements du SCC.

Dans ce contexte, le SCC n’adapte pas son administration des UIS d’une manière qui correspond à l’intention de la loi adoptée en 2019. Nous ne voyons que peu de preuves que le SCC a réussi à tirer beaucoup d’enseignements de ses « bonnes » pratiques ou des pratiques « exemplaires ». Entre autres choses, nous constatons des variations importantes (et troublantes) dans la gestion de certains groupes, comme les détenus racisés ou autochtones, ou les détenus ayant des problèmes de santé mentale. Nous avons constaté dans le présent examen, comme nous l’avons constaté dans nos cinq rapports précédents, que d’importants changements doivent être apportés au fonctionnement des UIS le plus tôt possible.

Une approche que le SCC utilise pour répondre aux détenus difficiles est particulièrement troublante. Il s’agit de la pratique qui consiste à transférer des détenus difficiles de l’UIS vers une autre UIS, souvent dans une autre région. Cette pratique laisse entendre que le SCC, en tant qu’établissement national, ne veut pas adopter une approche nationale cohérente à l’égard de la gestion cohérente et sécuritaire des détenus ayant des besoins complexes et difficiles.

Compte tenu de la variation inexpliquée du fonctionnement des UIS, il faut répondre aux besoins spéciaux des détenus noirs et autochtones, ainsi qu’à ceux qui ont des problèmes de santé mentale.

Conclusion 3 - La réforme des UIS doit être effectuée en tenant compte du contexte global des opérations du SCC

Un examen opérationnel complet du SCC est nécessaire. Les UIS doivent être comprises dans le contexte des opérations en établissement plus générales du SCC. Des changements apportés aux UIS touchent nécessairement l’ensemble de l’établissement, l’inverse étant également vrai. Il ne vaut pas la peine d’améliorer les UIS si cela entraîne simplement le déplacement des problèmes vers d’autres parties moins visibles des établissements du SCC (p. ex., les soi-disant « cellules cachées »). Tout indique que les problèmes de l’UIS reflètent des problèmes organisationnels plus vastes.

On nous a dit que bien des prisonniers préfèrent rester dans les UIS par crainte de la violence dans la population régulière. Ce problème ne peut être résolu en examinant les UIS isolément.

De même, les problèmes de santé mentale ne peuvent être examinés indépendamment des autres opérations du SCC. Une fois de plus, nous pouvons voir l’intersectionnalité des problèmes. Comme nous l’avons indiqué dans le présent rapport, les personnes qui ont séjourné à plusieurs reprises dans une UIS sont particulièrement susceptibles d’avoir des besoins en santé mentale. Et celles qui ont d’importants besoins en santé mentale sont particulièrement vulnérables au fait d’être envoyé à plusieurs UIS dans différentes régions. Il nous semble que l’examen du traitement des personnes ayant des problèmes de santé mentale doit être élargi et mené dans le contexte général des établissements du SCC. Il ne faut pas tolérer une politique ou une pratique qui soutient implicitement le « traitement par le déplacement » (le déplacement de prisonniers difficiles vers un autre établissement ou une autre région).

Les travaux sur la réforme des UIS, par Sécurité publique Canada et le SCC, doivent commencer immédiatement afin que, d’ici la fin de 2024, lorsque le présent Comité présentera son rapport final et que l’examen parlementaire requis débutera, des plans de changements importants dans le fonctionnement des UIS seront en cours et seront disponibles pour examen par le Parlement. Il faut commencer à travailler sur les modifications législatives qui pourraient être nécessaires pour avoir un système plus humain pour traiter les prisonniers particulièrement difficiles. Pour Sécurité publique Canada et le SCC, le message devrait être clair : il faut changer maintenant. Les changements immédiats que nous préconisons dans nos recommandations ne régleront pas tout ce qui ne fonctionne pas dans les UIS, mais cela ne devrait pas servir d’excuse pour attendre une année supplémentaire afin de commencer le travail alors qu’aujourd’hui, des détenus ne sont pas traités d’une manière conforme aux objectifs de la loi.

Le besoin urgent de changement est évident depuis octobre 2020, alors que la première série de conclusions sur le fonctionnement des UIS a été publiée. Bon nombre de ces mêmes problèmes ont été mis en évidence dans nos trois « mises à jour » publiées en 2023.

Recommandations au ministre de la Sécurité publique du Canada

Les trois recommandations suivantes portent sur la nécessité de veiller à ce que tout changement ultérieur des opérations du SCC soit fondé sur des données probantes et conforme à la mission centrale du SCC, à savoir la réhabilitation des détenus et leur réinsertion sociale dans la société canadienne (voir l’article 3 de la LSCMLC).

Ces recommandations visent à prendre des mesures immédiates en 2024 et s’adressent au ministre de la Sécurité publique du Canada en raison de sa responsabilité à l’égard du Service correctionnel du Canada. Le Comité incorporera la réponse à ces recommandations dans son plan de travail au cours de la dernière année de son mandat.

1. Le SCC doit être invité immédiatement à examiner la relation entre le fonctionnement des UIS et ses opérations globales.
Le personnel du SCC a souvent laissé entendre que le modèle de l’UIS avait eu des répercussions négatives sur les opérations correctionnelles de base et a également laissé entendre que les UIS étaient responsables de l’érosion des conditions de détention des détenus de la population générale. Il faut commencer immédiatement l’examen de ces enjeux. Il doit être étayé par des données systématiques sur le fonctionnement des UIS et des établissements du SCC en général. Il doit être rendu public avant la fin de 2024 et contribuer à l’examen quinquennal du projet de loi C-83.
2. Le SCC doit immédiatement élaborer et mettre en œuvre un plan visant à réduire le nombre élevé de prisonniers noirs, de prisonniers autochtones et de prisonniers ayant des problèmes de santé mentale qui sont transférés dans des UIS, ainsi qu’à réduire la durée de leur séjour dans les UIS.
Le plan d’action doit être élaboré et rendu public dans les 90 jours suivant la publication du présent rapport. Des mises à jour devraient être rendues publiques tous les 60 jours par la suite et documenter à la fois les changements qui ont été apportés et l’incidence de ces changements. Les mesures prises doivent également empêcher l’isolement prolongé de ces détenus dans toute autre forme de détention restrictive.
3. Le SCC doit être tenu de s’assurer immédiatement que le cas de tous les détenus maintenus dans une UIS pendant plus de 15 jours sera renvoyé à un DEI, peu importe si l’on a ordonné la libération du détenu ou non.
Il doit améliorer la présentation de rapports sur le nombre de détenus et leurs caractéristiques pertinentes (p. ex. si le détenu est autochtone ou issu d’un groupe racisé, la présence de problèmes de santé mentale, la durée du séjour). Ces rapports présenteront des données sur les détenus de n’importe quelle UIS partout Canada et qui sont dans une UIS depuis au moins 30 jours. Ces rapports doivent être rendus publics chaque mois, à compter de maintenant.

Chacune de ces recommandations est fondée sur le besoin urgent d’harmoniser la mise en œuvre du modèle de l’UIS aux objectifs législatifs visés par le projet de loi C-83.

Le SCC doit prendre des mesures pour se conformer à l’esprit, à l’intention et à la lettre de la loi. Les changements doivent être apportés rapidement et suivis de près.

Nos trois recommandations doivent être considérées comme des mesures provisoires. Comme nous l’avons indiqué dans nos trois conclusions, il faut examiner de façon détaillée et approfondie l’ensemble des opérations du SCC, et pas seulement le fonctionnement des UIS. Il est clair pour le Comité que les aspirations à un changement transformateur dans les services correctionnels fédéraux ne peuvent être réalisées dans le contexte opérationnel actuel. Les UIS seules ne suffiront pas pour entraîner ce changement.

Annexe A – Réponses aux recommandations du rapport annuel 2021 à 2022 de Sécurité publique Canada et Service correctionnel Canada

Le Rapport annuel 2021 à 2022 du Comité consultatif sur la mise en œuvre des unités d’intervention structurée (CCMO UIS), daté du 2 septembre 2022, a été rendu public et affiché sur le site Web de Sécurité publique Canada le 28 octobre 2022Note de bas de page 32. Le rapport annuel contenait quarante et une recommandations portant sur les quatorze sujets de préoccupation suivants :

Trente-cinq des recommandations ont été adressées au Service correctionnel du Canada, qui a abordé tous les sujets sauf l’avenir du CCMO UIS. Les six recommandations au ministre portaient sur les décideurs externes indépendants, l’avenir du CCMO et la responsabilisation accrue.

Les réponses du ministre de la Sécurité publique et du Service correctionnel du Canada ont été publiées au moment où le rapport a été rendu public. Il est possible de trouver le Rapport annuel 2020 à 2021 du CCMO UIS et les réponses aux recommandations au même endroit que tous les rapports précédents du Comité consultatif.

Le CCMO UIS a préparé un premier examen des réponses et a déterminé qu’il fallait obtenir plus d’information afin de tirer des conclusions quant à la mesure dans laquelle les réponses portaient sur les questions soulevées.

Entre novembre 2022 et juin 2023, plusieurs réunions et discussions ont eu lieu avec des membres du Comité exécutif du Service correctionnel du Canada, des hauts fonctionnaires de la Sécurité publique et du personnel du Cabinet du ministre. Le 10 mai 2023, le Service correctionnel du Canada a fait le point sur les mesures prises. Toutefois, ni le ministère de la Sécurité publique ni le Cabinet du ministre n’ont mis à jour leur réponse.

La réponse initiale, la mise à jour officielle du Service correctionnel du Canada et les renseignements recueillis au cours de discussions informelles ont été examinés et intégrés à l’analyse des réponses du CCMO UIS. Le CCMO de l’UIS a élaboré une échelle en quatre points pour évaluer la réponse aux recommandations (c.-à-d. Répond, Répond partiellement, Non répondu et Recommandation rejetée). Parmi les réponses, 20 % (n=8) ont été jugées comme répondues, 44 % (n=18) étaient Partiellement répondues, 29 % (n=12) étaient Non-répondues et 7 % (n=3) des recommandations ont été rejetées.

Le Comité est déçu de ce résultat. Le Service correctionnel du Canada et le ministre n’ont pas répondu pleinement aux quatorze questions abordées dans le Rapport annuel. Notamment, le Service correctionnel du Canada n’a pas répondu à toutes les recommandations du CCMO concernant les solutions de rechange aux UIS et la durée de séjour dans les UIS. Le Service correctionnel du Canada a également rejeté les recommandations du CCMO concernant le sous-commissaire principal qui approuvait les transfèrements interrégionaux à destination ou en provenance d’une UIS. En plus de s’engager à « améliorer le caractère opportun et l’efficacité des décisions des DEI », le ministre n’a pas clairement pris l’engagement de modifier la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition afin d’établir des examens et des ordonnances plus opportuns et exécutoires concernant la durée des placements dans l’UIS. De même, il n’y a eu aucun engagement à mettre en œuvre la recommandation visant à mettre en place une surveillance ministérielle et des rapports publics sur les progrès réalisés à l’égard de la commissaire du Service correctionnel du Canada dans la rédaction des priorités de la lettre de mandat.

Annexe B – Quelques notes méthodologiques et de présentation

Mesures et regroupement des données

1. Pour la plupart de nos présentations, nous avons utilisé, comme unité d’analyse, l’expression « séjour-personne » – un séjour unique dans une UIS (non une cellule à mouvement restreint) par un détenu. Deux séjours séparés d’un seul prisonnier sont donc comptés comme deux séjours indépendants. De toute évidence, quand on regarde les séjours multiples faits par un seul prisonnier, notre « unité d’analyse » devient le détenu, et non « séjour-personne ».

Il est important d’établir la distinction entre les analyses utilisant un « séjour-personne » et les analyses portant sur le nombre de séjours dans une UIS des personnes qui ont vécu au moins un séjour. Par exemple, dans le tableau 2, nous notons qu’il y a eu 4 969 séjours-personnes au cours de la période de trois ans. Bon nombre de ces séjours-personnes mettaient en cause des personnes qui ont été transférées plus d’une fois dans une UIS. Le tableau 11, en revanche, décrit le nombre de transfèrements distincts d’une personne donnée, qui avait été transférée au moins une fois. Il s’agit évidemment de mesures très différentes. La première décrit chaque séjour comme étant séparée. Le deuxième groupe regroupe les données pour les personnes qui n’ont séjourné qu’une fois dans une UIS ou plusieurs fois.

2. Normalement, nous « datons » un séjour-personne dans une UIS selon la date à laquelle il a commencé. Cela crée un problème simple et surmontable : ce qu’il faut faire si le détenu est encore dans l’UIS à la fin de la période étudiée. Dans la plupart des cas, parce que nous présentons des données catégoriques (p. ex., la longueur des séjours-personnes de longueur précise), nous nous contentons de suivre ces cas pendant une période qui les place dans la catégorie la plus longue (p. ex. plus de deux mois). Par conséquent, nous ne savons pas si, au moment de la rédaction du présent rapport, il y avait encore des détenus admis dans une UIS en 2022 et qui y étaient encore à la fin de 2023. Mais nous savons qu’ils étaient là depuis plus de 2 mois. Et dans les analyses de séjours prolongés, cela signifie que nous avons au moins deux mois de leur expérience dans une UIS.

3. Il y a un enjeu technique sur la définition de « jour ». La façon standard du SCC de définir un jour en prison est telle que toute partie d’une journée compte comme un jour. Techniquement, par conséquent, un séjour dans une UIS à partir de 22 h et se terminant le lendemain à 8 h compterait, en utilisant ce schéma, comme deux jours. En règle générale, nous avons donc soustrait un jour du simple calcul « date-soustraction » (qui aurait compté cet exemple comme un jour). Le SCC a élaboré une définition plus pointue d’un jour après que les UIS aient été en service depuis un certain temps. Nous avons vérifié si cette définition ferait une différence importante. De toute évidence, il est fort probable qu’elle influe sur les résultats des analyses impliquant des séjours très courts dans les UIS. Nous n’avons trouvé aucun cas où les constatations diffèrent d’une manière significative. Intuitivement, bien sûr, la définition d’un jour aurait peu d’incidence (s’il y en a) sur toute mesure pour les analyses impliquant des séjours prolongés dans des UIS (16 jours ou plus), surtout parce que nous avons utilisé des regroupements de personnes plutôt importants.

L’ambiguïté mineure des dates se manifeste également dans d’autres domaines (p. ex. le moment des décisions du DEI). En règle générale, nous avons eu tendance à donner au SCC le bénéfice du doute dans le calcul de ces délais.

4. De façon générale, nous avons présenté les résultats de manière à ce qu’une mesure soit divisée en catégories. Dans certains rapports précédents, nous avons utilisé de nombreuses catégories, par exemple, la durée d’un séjour. Le nombre de catégories utilisées et les valeurs exactes de chacune des catégories devraient être déterminés par ce à quoi une personne s’intéresse. Nous avons été guidés par nos questions de recherche. Parfois, nous nous contentons de regarder des séjours relativement courts ou prolongés où la ligne de démarcation était de 15 à 16 jours. Dans d’autres cas, nous étions intéressés par des séjours beaucoup plus longs (prolongés). Essentiellement, nous avons décidé ces questions en utilisant deux types de critères : ce qui nous intéressait et ce qui décrivait les données de la manière la plus appropriée et la plus efficace.

5. Pour certains éléments, le SCC semble préférer l’une des mesures les plus simples de la « tendance centrale » d’une distribution d’un ensemble de scores : la médiane. Le problème dans l’utilisation de la médiane – le score qui représente le point où la moitié des scores sont plus élevés, et la moitié sont plus faibles – est qu’elle pourrait facilement en cacher plus qu’elle n’en révèle. Essentiellement, à l’utilisateur, cette mesure dit presque rien sur la variabilité des scores.

Par conséquent, si une distribution du « temps dans l’UIS » n’avait que trois valeurs (26, 27 et 28 jours, par exemple) et que les trois valeurs avaient un nombre égal de cas, la médiane serait de 27 jours. Mais si l’on regardait une distribution des scores où les longueurs étaient également divisées en trois groupes différents : 2, 27 et 127 jours, la médiane pour ce deuxième ensemble de scores serait également de 27 jours. Le fait que le premier groupe avait des scores allant de 26 à 28 jours et que le deuxième groupe avait des scores allant de 2 à 127 jours serait occulté par l’utilisation de la médiane.

Le SCC a déclaré au Comité consultatif que « (l)es indicateurs pour 2023-2024 nous indiquent qu’à ce jour (décembre 2023), les jours médians dans une UIS ont diminué depuis 2021-2022 […] ». Nous ignorons comment interpréter cet énoncé (hormis le fait que nous parlons d’une constatation qui ne couvre pas une année complète). L’exemple hypothétique ci-dessous, qui met en cause la durée hypothétique du séjour de 100 prisonniers, illustre ce problème. Imaginons que, pour chaque année, il n’y ait que trois « longueurs de séjours » pour 100 personnes envoyées dans une UIS pendant chaque période.

Période 1 : Jours en SIU pour 100 prisonniers :

Pour les 100 prisonniers, le temps médian en SIU est de 27 jours.

Période 2 : Jours en SIU :

Pour les 100 prisonniers, le temps médian en UIS est de 25 jours.

Comme dans la déclaration que le SCC a faite au Comité en décembre 2023, la médiane a diminué dans ces données hypothétiques (de 27 jours à 25 jours).

Nous estimons que la plupart des gens, qui regardent la distribution complète de ces données (hypothétiques), ne concluraient pas que, dans la période 2, la longueur des séjours dans l’UIS avait vraiment diminué. Pour 60 détenus, il y a eu des augmentations substantielles; pour 40 détenus, il y a eu de très légères diminutions. Nous soupçonnons que les gens les plus raisonnables doutent que la médiane soit indiquée pour décrire ces données. 

Loin de nous de suggérer que notre exemple hypothétique reflète les données que le SCC a communiquées au Comité. Nous affirmons simplement que l’utilité de leur simple mesure (la médiane) est très limitée. De toute évidence, il traite une personne qui a passé 1 jour de plus que le nombre médian de jours exactement de la même manière qu’une personne qui a passé 500 jours de plus que la médiane.

Présenter les données d’une manière qui reflète les questions examinées par le Comité consultatif.

1. Comme nous l’avons déjà mentionné, nous avons eu tendance à utiliser des catégories représentant des plages de longueurs. Comme nous l’avons déjà indiqué, ces différences varient un peu d’un tableau à l’autre en fonction de ce que nous essayons de décrire.

La raison la plus fréquente était que nous essayions de saisir, de la manière la plus simple possible, ce que les données nous montraient. Cela signifierait, par exemple, que, si le modèle de l’ensemble des groupes pouvant être considéré comme des séjours « très longs » était similaire à celui des « longs séjours », nous aurions tendance à regrouper les données. Si les différences entre les groupes étaient plus importantes ou étaient simplement différentes pour les « très longs séjours », nous aurions tendance à maintenir ce fait en tant que groupe distinct.

De plus, l’emplacement des ruptures de catégories que nous utilisons dans nos tableaux était généralement déterminé par ce qui nous intéressait. Par exemple, dans les tableaux 2 et 3, nous avons utilisé deux catégories afin de donner au SCC une certaine marge de manœuvre pour atteindre ce que certains pourraient appeler une norme Mandela assouplie. Toutefois, dans le tableau 4, nous avons examiné ce qui pourrait être considéré comme de très longs séjours dans les UIS (91 jours ou plus) parce que nous avons remarqué que certains groupes étaient plus fortement représentés dans ce groupe que d’autres.

Dans d’autres circonstances, où nous estimions qu’il était important d’examiner les séjours qui dépassaient le temps spécifié dans les Règles de Mandela, nous étions enclins à utiliser une pause entre 15 et 16 jours, car une période de 16 jours ou plus sans contact humain réel a une signification particulière dans les Règles de Mandela.

Dans un autre cas (tableau 1), nous avons utilisé des catégories légèrement différentes pour une raison très simple : nous n’avions pas accès à des données brutes provenant de « l’isolement préventif » et nous devions nous appuyer sur des données qui avaient été classées par d’autres personnes.

2. La question de savoir comment décrire si une « différence » est réelle n’est pas simple. En règle générale, nous préférons présenter les données numériques et évaluer nous-mêmes l’importance d’une différence. Toutefois, le point de départ est les données quantitatives.

Dans le tableau 6, par exemple, nous suggérons que le recul entre 2020 et 2021 (de 52,0 % à 43,8 %) dans le pourcentage de personnes qui n’obtiennent pas deux heures de contact humain réel était notable, mais la baisse entre 2021 et 2022 (de 43,8 % à 40,2 %) ne l’était pas. Il s’agit clairement d’une question de jugement. De notre côté, ce jugement était fondé en partie sur le fait que les données montrent qu’il y a eu 354 séjours-personnes (40,2 % des 880 séjours) de 16 jours ou plus cette année-là au cours desquels le détenu n’a pas reçu le traitement (contact humain significatif), qui établit une distinction entre l’isolement cellulaire et ce que les UIS étaient censées pouvoir offrir. Mais le point le plus important est que les données sont dans le tableau pour que les lecteurs puissent se décider eux-mêmes si une baisse d’une ampleur donnée est importante.

Interpréter la loi

1. Le SCC nous a fait part de ses préoccupations au sujet des intentions du Parlement ou du gouvernement. Ils disent, après lecture de la lettre de la loi (la LSCMLC), que tout ce que le SCC doit faire, c’est d’offrir aux détenus l’occasion de passer 4 heures à l’extérieur de la cellule congé et d’avoir 2 heures de contact humain réel. Nous avons laissé entendre que, au contraire, en adoptant la loi, le Parlement visait plutôt que les détenus ne subissent plus l’isolement cellulaire (parce qu’ils passeraient du temps en dehors de la cellule et auraient du temps avec d’autres personnes). Pour appuyer cette observation, nous faisons référence à l’honorable Ralph Goodale, ministre de la Sécurité publique. Dans sa présentation du projet de loi à l’étape de la deuxième lecture, on pourrait comprendre que le ministre communiquait l’intention du gouvernement lorsqu’il a dit ce qui suit :

« La solution que nous proposons dans le projet de loi C-83 consiste à éliminer complètement la pratique actuelle d’isolement préventif et de la remplacer par une nouvelle façon de faire, soit par la création d’unités d’intervention structurées.

Pour atteindre l’objectif de sécurité, ces unités seront séparées de celles où est logée la population carcérale générale. Elles seront toutefois conçues pour faire en sorte que les gens qu’elles abritent bénéficient des interventions, des programmes et des traitements nécessaires.

Les détenus logés dans les unités d’intervention structurée passeront au moins quatre heures par jour en dehors de leur cellule, dont au moins deux en compagnie d’employés, de bénévoles, d’aînés, de visiteurs ou de codétenus compatibles.

D’autres professionnels en santé mentale seront engagés pour travailler dans ces unités d’intervention structurée. D’autres professionnels en santé mentale seront engagés pour travailler dans ces unités d’intervention structurée. Le projet de loi précisera que les détenus ne doivent pas être séparés de la population carcérale générale plus longtemps que nécessaire.

Cette nouvelle approche garantira la sécurité des établissements correctionnels et du public en renforçant la capacité du Service correctionnel du Canada de promouvoir la réadaptation dans un environnement sûr. »

[Jeudi 18 octobre 2018, soulignement ajouté].

Nous soupçonnons que la plupart des Canadiens, y compris la plupart des parlementaires, interprètent les mots « Les détenus logés dans les unités d’intervention structurée passeront au moins quatre heures par jour en dehors de leur cellule […] » comme une intention.

2. Il y a une question de fond et une question de méthodologie en ce qui concerne les détenus qui n’acceptent pas les offres du SCC de passer du temps en dehors de la cellule. Le SCC, bien entendu, se concentre sur son obligation d’« offrir », alors que nous nous sommes concentrés sur ce qui arrive réellement aux détenus.

Mais ce n’est pas le seul problème. Nos données tirées de rapports antérieurs indiquent très clairement que les données du SCC montrent que le SCC n’offre même pas toujours aux détenus de passer du temps en dehors de la cellule, comme il leur a été promis dans la loi. Comme nous l’avons souligné dans notre premier rapport annuel :

« Le SCC a informé le Comité qu’en dépit des offres quotidiennes de sortie de cellule, de nombreux détenus refusaient de profiter de cette occasion. En étudiant en détail les détenus qui ont séjourné dans les UIS pendant 16 jours ou plus, nous avons constaté que pour 1 335 de ces détenus en long séjour, soit 64 %, les refus ne sauraient expliquer l’incapacité à obtenir quatre heures de sortie de cellule. Les résultats concernant l’obtention de deux heures par jour de contacts humains significatifs sont similaires : les refus n’expliquent pas tous le fait que les détenus ne parviennent pas à obtenir deux heures de contact humain significatif par jour. Nous estimons que pour 1 091 des 2 071 détenus de longue durée (soit 53 % des détenus de longue durée dans les UIS), les refus n’expliquent pas l’impossibilité d’obtenir les deux heures de contact humain réel promises par la loi. »

En d’autres mots, dans bien des cas, le SCC n’offre pas aux détenus de passer du temps en dehors de la cellule. En outre, dans d’autres cas, lorsque le temps est offert, ces offres ne sont pas toujours acceptées.

D’un point de vue politique, le résultat est le même : les prisonniers n’obtiennent pas ce dont le ministre a dit au Parlement qu’ils bénéficieraient effectivement.

3. Sur un point tout à fait distinct, on se demande sérieusement la signification de « besoins en santé mentale » dans le contexte des mesures relatives à la santé mentale que nous utilisons dans le présent rapport. Dans l’examen des erreurs et omissions du 21 décembre 2023, le SCC a déclaré au Comité ce qui suit :

[Traduction]

On ne sait pas exactement quelle est la définition de travail des « besoins en santé mentale » du Comité consultatif sur la mise en œuvre. Par conséquent, on ne sait pas clairement quel groupe est inclus […]

Ce commentaire semble juste. Toutefois, nous avons trouvé étrange que le SCC ait demandé au Comité de résoudre cette question. Le SCC laisse entendre que c’est le Comité qui a évalué les besoins en santé mentale des détenus et qui a créé ces mesures. Étant donné que le Comité s’est appuyé sur les mesures et les évaluations du SCC, le Comité estime qu’il est étrange que le SCC demande au Comité de défendre ou d’expliquer les propres définitions de travail du SCC. Le Comité n’a pas créé les indicateurs ou les évaluations; le SCC l’a fait.

Le Comité a utilisé deux mesures. La première était de savoir si le détenu présentait un « indicateur de santé mentale » défini par le SCC comme un « indicateur OUI/NON indiquant si le délinquant avait des besoins en santé mentale au moment de la date de début de la période, d’après les données de l’Échelle des besoins en santé mentale (EBSM) du Secteur des services de santé ». Plus tard, cette échelle a été quelque peu élargie (voir le tableau 12).

Le Comité a également examiné si le détenu avait : a) des besoins faibles ou aucun, b) certains besoins; ou c) des besoins considérables ou supérieurs. Par ailleurs, le SCC a indiqué si, à son avis, ces besoins diminuaient, ne changeaient pas ou n’augmentaient pas. La combinaison de trois niveaux de besoins et de trois types de changements nous donne 9 groupes (voir le tableau 10). Afin de communiquer l’importance de certaines catégories, nous avons réuni ces neuf groupes en trois groupes distincts. Le SCC semble suggérer qu’il aurait préféré que nous fassions quelque chose de différent, mais il ne nous a pas dit clairement quel était l’avantage de leur approche. Le Comité s’est surtout intéressé à déterminer si les personnes, dont la santé mentale s’aggravait, selon le SCC, étaient particulièrement susceptibles d’effectuer de longs séjours à une UIS. Voir le tableau 10.

Il y a une certaine ironie dans le fait que le SCC nous ait fait part de ses préoccupations au sujet de la définition de travail de ces mesures depuis que celles-ci ont été prises.

4. Le SCC préférerait que nous n’utilisions pas le terme « isolement cellulaire ». Nous utilisons parfois ce terme pour décrire ce qui arrive à certains détenus pour une raison simple : leur traitement reflète ce qui est généralement connu et accepté (p. ex. dans les Règles de Mandela) comme étant l’isolement cellulaire. Dans d’autres cas, nous mentionnons l’isolement cellulaire comme un contraste avec le fonctionnement prévu des UIS.

Une question sur l’histoire de la surveillance des UIS

1. Pour des raisons que nous ne comprenons pas entièrement, dans ses commentaires sur les erreurs et les omissions, le SCC a estimé que le présent Comité devrait indiquer dans le présent rapport « pourquoi » le SCC n’a pas fourni de données au premier Comité consultatif sur la mise en œuvre. Bien entendu, c’est une question à laquelle le SCC serait plus en mesure d’expliquer avec autorité que quiconque à l’extérieur du SCC. La meilleure explication accessible au public que peut invoquer le Comité consultatif se trouve en annexe au premier rapport sur l’exploitation des UIS. Veuillez consulter l’annexe D du rapport du 26 octobre 2020 intitulé « Understanding the Operation of Correctional Service Canada’s Structured Intervention Units: Some Preliminary Findings ». Disponible au lien suivant : Reports on Canada’s Structured Intervention Units (en anglais seulement).

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