Renforcer les mesures visant à contrer l'ingérence étrangère : Faut-il modifier la Loi sur le service canadien du renseignement de sécurité?
Document de consultation publique
Le 24 novembre 2023
Ce document décrit un éventail de questions et d’approches aux fins de consultation et ne constitue pas la position finale du gouvernement du Canada.
Évolution du contexte actuel de la menace
En tant que démocratie libre et ouverte jouissant d'une économie développée, le Canada est la cible d'États étrangers, ou d'acteurs agissant en leur nom, qui cherchent à servir leurs objectifs stratégiques. Pour ce faire, certains de ces États emploient des moyens transparents et légitimes, tandis que d'autres menacent ou intimident des personnes au Canada et leurs familles ailleurs dans le monde, ou mènent des activités clandestines et trompeuses qui nuisent aux intérêts nationaux du Canada.
Les défenseurs des droits de la personne et les dissidents qui exercent leur liberté d'expression, un droit protégé par la Constitution, sont les principales cibles des manœuvres d'intimidation appuyées par des États. L'ingérence et le harcèlement sont utilisés pour pousser des membres de diverses communautés au Canada à servir l'intérêt d'États étrangers. Des acteurs étatiques parviennent à obtenir les renseignements personnels de Canadiennes et de Canadiens pour mener des activités d'ingérence étrangère dans tous les domaines. Ils tentent aussi de prendre pour cible les gouvernements provinciaux, territoriaux, municipaux et autochtones, qui n'ont qu'un accès limité aux évaluations fédérales du renseignement.
La technologie facilite et intensifie ces menaces, notamment en ligne, où il est difficile de repérer et d'identifier les auteurs de menace en raison de la grande disponibilité des applications et des outils sécurisés, comme les réseaux privés virtuels (RPV) et le chiffrement de bout en bout, que la population et les entreprises canadiennes utilisent pour protéger leurs renseignements personnels. Non seulement la technologie a changé, mais les attentes de la population canadienne en matière de confidentialité concernant les données et la technologie ont elles aussi évolué. Or, le SCRS dispose de pouvoirs qui lui ont été accordés en 1984, à une époque où l'omniprésence et le développement des technologies numériques étaient imprévisibles. Depuis, la Loi sur le SCRS (la Loi) n'a été modifiée que de façon ciblée.
Pour enquêter sur l'ingérence étrangère insistante et néfaste que subit le Canada aujourd'hui, le SCRS a besoin d'outils adaptés à la technologie et aux menaces modernes. Modifier la Loi doterait ce dernier de moyens mieux adaptés à sa mission, qui est d'enquêter sur les menaces pesant sur la sécurité nationale, de conseiller le gouvernement du Canada à ce sujet et de prendre des mesures visant à atténuer ces menaces.
Rôle du SCRS en matière de protection de la sécurité nationale du Canada
Le SCRS a pour mission :
- d'enquêter sur les activités soupçonnées de constituer des menaces pour la sécurité du Canada (espionnage ou sabotage, ingérence étrangère, terrorisme et subversion de la démocratie canadienne) et d'informer le gouvernement du Canada à leur sujet;
- de prendre des mesures visant à atténuer ces menaces;
- de fournir des évaluations de sécurité sur les personnes qui doivent accéder à des informations ou à des sites sensibles du gouvernement du Canada;
- de donner des conseils de sécurité en rapport avec la Loi sur la citoyenneté ou la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés; et
- de recueillir des renseignements étrangers, dans les limites du Canada, à la demande des ministres des Affaires étrangères ou de la Défense nationale.
Les renseignements communiqués par le SCRS servent à conseiller le gouvernement du Canada. Par exemple, ceux qui concernent l'espionnage et l'ingérence étrangère sont employés pour déterminer les pratiques exemplaires en matière de protection des infrastructures, de travaux scientifiques financés par le gouvernement fédéral et d'innovation canadienne. Le SCRS peut aussi transmettre à la Gendarmerie royale du Canada (GRC) des informations tirées de ses enquêtes qui sont utiles à des enquêtes criminelles liées à la sécurité nationale.
Si le SCRS fournit au gouvernement du Canada des renseignements essentiels qui l'aident à combattre l'ingérence étrangère, ses pouvoirs sont limités, ce qui amoindrit la capacité du Canada de lutter contre les tactiques complexes et offensives utilisées aujourd'hui.
Principes directeurs de la modification de la Loi sur le SCRS
Les pouvoirs conférés par la Loi doivent tenir compte des valeurs et des idéaux de la population canadienne, que le SCRS cherche à protéger. Avant de modifier la Loi, il faut avoir une discussion éclairée avec la population pour obtenir son avis sur le rôle que le SCRS devrait jouer à titre de service de renseignement moderne et civil.
Le SCRS souhaite recueillir votre avis sur la façon dont il devrait continuer à protéger la sécurité nationale du Canada, tout en continuant à protéger les droits et les libertés de la population.
Les modifications proposées visent à doter le SCRS de pouvoirs mieux adaptés à la lutte contre l'ingérence étrangère et à la protection de la sécurité nationale dans un monde numérique. Elles contribueraient à :
- permettre au SCRS de communiquer des informations aux intervenants extérieurs au gouvernement du Canada, afin d'accroître la sensibilisation et la résilience contre l'ingérence étrangère;
- créer de nouveaux pouvoirs nécessitant l'obtention d'une autorisation judiciaire parfaitement adaptés au degré d'intrusion propre aux techniques à utiliser;
- combler l'écart creusé par les progrès technologiques et rétablir la capacité du SCRS de recueillir depuis le Canada des renseignements étrangers sur d'autres États et des ressortissants étrangers qui se trouvent au Canada;
- renforcer la capacité du SCRS de tirer parti de l'analyse des données pour enquêter sur les menaces; et
- veiller à ce que les lois sur la sécurité nationale évoluent aussi vite que les menaces et les attentes de la population canadienne en matière de respect de la vie privée.
Mesures de protection
Le SCRS tient à accroître sa transparence pour que la population canadienne ait confiance en son service du renseignement de sécurité. Quelles que soient les modifications apportées à la Loi, le maintien des dispositifs d'examen, de surveillance et de transparence demeurera une priorité. Les droits et les libertés de la population canadienne sont au cœur même de la démocratie canadienne et leur respect est une considération majeure pour le SCRS dans le cadre de son travail. Le SCRS fait l'objet de nombreuses mesures visant à garantir le respect des droits de la population canadienne, qui sont protégés par la Charte canadienne des droits et libertés (la Charte). Par exemple, il est tenu d'obtenir un mandat de la Cour fédérale avant de mener des activités de collecte plus que minimalement envahissantes. Il doit également se soumettre à un examen externe non judiciaire rigoureux. L'Office de surveillance des activités en matière de sécurité nationale et de renseignement et le Comité des parlementaires sur la sécurité nationale et le renseignement examinent ses activités. D'autres de ses activités sont assujetties à l'examen et à l'approbation du commissaire au renseignement, un organe de surveillance quasi judiciaire.
Les principes clés ci-dessous seraient utilisés pour orienter les modifications de la Loi :
Confiance : Protéger les droits et les libertés des citoyens, conformément à la Charte et aux attentes de la population.
Responsabilité : Agir conformément à la primauté du droit et aux exigences en matière de contrôle judiciaire et rendre des comptes au gouvernement et à la population du Canada.
Fiabilité : Aider le gouvernement fédéral à protéger la sécurité nationale, et demeurer un partenaire solide et digne de confiance tant au pays qu'à l'étranger.
Gestion responsable : Utiliser adéquatement les ressources du gouvernement de façon à faire progresser les opérations du SCRS dans un monde avancé sur le plan technologique.
Préparation : Disposer des outils nécessaires pour contrer les menaces de demain.
Question no 1 : Faut-il autoriser le SCRS à communiquer des informations à des personnes ou à des organisations extérieures au gouvernement du Canada pour renforcer la sensibilité et la résilience à l'ingérence étrangère?
Contexte
Lorsque la Loi a été adoptée, la sécurité nationale relevait exclusivement du gouvernement fédéral, car les activités d'espionnage et d'ingérence étrangère prenaient alors pour cible les technologies militaires et les institutions fédérales. Pour cette raison, le SCRS est autorisé à recueillir, à conserver et à communiquer les renseignements nécessaires au gouvernement du Canada pour l'aider à prendre des décisions visant à protéger la sécurité nationale. Aujourd'hui, l'ingérence étrangère touche tous les ordres de gouvernement et tous les pans de la société, notamment les communautés canadiennes, le milieu universitaire, les médias et les entreprises privées. L'expertise et les renseignements du SCRS sont de plus en plus utiles aux personnes et aux organisations extérieures au gouvernement fédéral, et ces partenaires se tournent plus que jamais vers le SCRS pour obtenir des informations. La sécurité nationale demeure une compétence fédérale, mais il ne fait aucun doute que la lutte contre l'ingérence étrangère nécessite un effort concerté de toute la société.
Quel est le problème?
La Loi n'autorise pas le SCRS à communiquer des renseignements classifiés à des partenaires canadiens extérieurs au gouvernement du Canada. Autrement dit, en règle générale, le SCRS ne peut transmettre d'informations pertinentes aux provinces, aux territoires, aux municipalités ou aux gouvernements autochtones, sauf dans certaines situations (p. ex., pour les besoins des forces de l'ordre ou lorsque ces partenaires peuvent agir pour atténuer une menace précise, en vertu du mandat qu'a le SCRS de prendre des mesures de réduction de la menace [MRM]). Il arrive que le SCRS se serve de ses pouvoirs relatifs aux MRM pour fournir des informations à des partenaires extérieurs au gouvernement du Canada en vue d'atténuer des menaces précises, lorsqu'il n'y a pas d'autres solutions possibles. Toutefois, les MRM ne doivent pas servir à communiquer des informations à des fins de sensibilisation, mais à affaiblir une menace donnée.
Cette interdiction limite aussi les informations utiles que le SCRS peut transmettre au secteur privé et aux établissements universitaires. Cela empêche le SCRS de communiquer directement à ces partenaires des informations qui pourraient les aider à renforcer leur résilience face aux menaces associées à l'ingérence étrangère et à l'espionnage.
Devant la multiplication des menaces visant le Canada, le SCRS a déployé des efforts considérables pour accroître la collaboration et la sensibilisation à ces menaces. Cependant, comme la Loi limite les informations qu'il peut communiquer, il offre des séances d'information générales, de haut niveau et non classifiées sur la menace aux personnes et aux organisations extérieures au gouvernement du Canada qui sont visées par l'ingérence étrangère. Son incapacité à transmettre des informations précises et concrètes fait obstacle à des discussions franches sur toute l'ampleur et la nature des menaces, donc empêche ses partenaires de prendre des mesures d'atténuation éclairées et d'accentuer leur résilience.
Une fois la Loi modifiée, les informations données par le SCRS pourraient aider ses partenaires à mieux connaître les menaces qui pèsent sur eux, à mieux repérer certaines techniques d'ingérence étrangère et à prendre des mesures de protection pour y résister.
Changement législatif possible
Le SCRS serait autorisé à transmettre des informations sur les menaces pour la sécurité nationale à des personnes ou à des organisations extérieures au gouvernement du Canada, afin de renforcer la sensibilité et la résilience aux menaces pour la sécurité du pays. S'il pouvait communiquer plus largement ces informations, il prendrait des mesures répondant au besoin de protéger à la fois les renseignements personnels et ses techniques d'enquête et ses sources.
Qu'en pensez-vous?
- Faut-il autoriser le SCRS à fournir des informations à des personnes ou à des organisations extérieures au gouvernement du Canada pour renforcer leur résilience aux menaces, notamment à l'ingérence étrangère?
- À votre avis, quelles considérations devraient s'appliquer à la communication d'informations à des personnes ou à des organisations extérieures au gouvernement du Canada au sujet des menaces dont elles font l'objet? Quelles limites faudrait-il fixer quant aux destinataires auxquels le SCRS peut donner des informations et au moment où il peut le faire?
Question no 2 : Faut-il doter le SCRS de nouveaux pouvoirs nécessitant une autorisation judiciaire adaptés au degré d'intrusion propre aux techniques à employer?
Contexte
En vertu de l'article 12 et de l'article 16 de la Loi, le SCRS peut amasser des informations quand les moyens utilisés sont très peu intrusifs. Si la collecte nécessite des moyens plus intrusifs, le SCRS invoque l'article 21 pour demander un mandat à la Cour fédérale. Auparavant, il doit consulter le sous-ministre de Sécurité publique, et le ministre de la Sécurité publique doit approuver le dépôt de la demande à la Cour fédérale. Aux termes de l'article 21, il faut que toutes les demandes de mandat satisfassent les mêmes critères, même si le degré d'intrusion varie grandement en fonction des techniques d'enquête employées. Ainsi, il n'existe actuellement qu'un seul type de demande de mandat, dont les critères correspondent aux techniques d'enquête les plus intrusives. Par conséquent, pour être autorisé à mener une activité de collecte ponctuelle (comme l'examen d'une clé USB), le SCRS doit remplir les mêmes critères que pour obtenir un mandat l'autorisant à exercer de façon répétée, pendant un an, des pouvoirs plus étendus nécessitant l'obtention d'un tel mandat (p. ex. l'interception en continu de communications privées).
Quel est le problème?
Pour obtenir un mandat, le SCRS doit démontrer qu'il a essayé, en vain, les techniques ne nécessitant pas de mandat, que de telles techniques ont peu de chances de succès ou ne sont pas pratiques quand il y a urgence, ou que, sans mandat, il n'obtiendra aucune information importante, et ce, quel que soit le type de technique nécessitant un mandat qu'il désire employer (une exigence appelée « nécessité pour les besoins de l'enquête »). Ainsi, il est tenu de respecter les mêmes critères, qu'il souhaite avoir un mandat pour connaître le nom et l'adresse d'un individu qui utilise une adresse IP donnée, pour consulter le registre détaillé des appels effectués sur un appareil ou pour intercepter les communications privées d'une personne pendant un an au maximum.
De la même façon, le SCRS doit remplir les mêmes critères stricts pour demander un mandat l'autorisant à recevoir un appareil (p. ex. une clé USB) et à en examiner le contenu une seule fois que pour effectuer des examens répétés des appareils d'une personne ou d'intercepter les communications en provenance ou à destination de ces appareils pendant un an au maximum. Par ailleurs, le SCRS manque d'un pouvoir distinct de contraindre une organisation à conserver des informations éphémères (p. ex. des données sur des transactions que l'institution financière concernée devrait autrement effacer). Il peut donc perdre des informations importantes pour une enquête pendant la démarche nécessaire à l'obtention d'un mandat en vertu de l'article 21.
Au contraire, les enquêteurs des forces de l'ordre ont accès à un éventail de pouvoirs autorisés par mandat qui sont mieux adaptés au degré d'intrusion propre aux techniques à autoriser. Il existe des différences considérables entre les pouvoirs dont peuvent se prévaloir le SCRS et les forces de l'ordre. Par exemple, les personnes visées par un mandat policier en sont souvent avisées et peuvent plus facilement le contester que celles qui font l'objet d'un mandat du SCRS, qui pourraient ne jamais l'apprendre, pour des questions de sécurité nationale. Cependant, le SCRS fait l'objet d'une étroite surveillance par le ministère et par des organismes de surveillance, ce qui n'est pas le cas des forces de l'ordre. Cela dit, au fil des ans, des modifications ont été apportées au Code criminel, pour une plus grande souplesse des pouvoirs nécessitant un mandat, sans compromettre l'exercice d'un contrôle judiciaire efficace. Par exemple, les dispositions sur les ordonnances de communication ont été introduites dans le Code criminel en 2004. En outre, dans le cadre d'une enquête criminelle, les enquêteurs des forces de l'ordre doivent souvent établir la « nécessité pour les besoins de l'enquête » pour intercepter des communications privées ou effectuer une vidéosurveillance intrusive, mais pas pour toutes les méthodes de collecte exigeant un mandat.
Changement législatif possible
De nouvelles autorisations judiciaires adaptées pourraient être envisagées pour certaines techniques d'enquête, en plus des pouvoirs prévus dans les mandats auxquels le SCRS a déjà accès. Par exemple, le SCRS pourrait demander une ordonnance de préservation à la Cour, sans avoir à en établir la nécessité pour les besoins de l'enquête, ce qui l'autoriserait à contraindre un tiers à préserver des informations éphémères, s'il a des motifs raisonnables de soupçonner qu'elles seront utiles dans une enquête de renseignement et s'il a l'intention de demander une ordonnance de communication ou un mandat pour les obtenir.
Une ordonnance de communication serait un autre outil qui pourrait simplifier la tenue d'une enquête sur une menace. Elle permettrait au SCRS de contraindre un tiers à lui communiquer des informations, s'il a des motifs raisonnables de croire qu'elles sont probablement importantes et qu'elles l'aideront probablement dans l'exercice de ses fonctions. Il pourrait demander une ordonnance de communication pour obtenir des données comme des informations de base sur un abonné, des relevés détaillés des appels ou des relevés de transactions. Ce nouveau pouvoir adapté autorisé par un mandat pourrait aider le SCRS à mener une activité de collecte une seule fois, par exemple obtenir et examiner une clé USB. Par nature, ces types d'activités de collecte ponctuelles ont des répercussions plus prévisibles – et par conséquent moins importantes – sur le droit à la vie privée que les types d'activités qui peuvent être autorisées en vertu des pouvoirs prévus dans les mandats actuels, qui peuvent comprendre l'utilisation de toutes les techniques d'enquête et une collecte en continu pendant un an au maximum. Comme le SCRS devrait toujours avoir des motifs raisonnables de croire que l'activité de collecte lui permettra probablement d'obtenir des informations importantes qui l'aideront probablement à exercer les fonctions qui lui sont conférées en vertu des articles 12 ou 16 de la Loi sur le SCRS, une surveillance judiciaire efficace serait maintenue.
Enfin, il sera parfois irréalisable pour le ministre de la Sécurité publique d'approuver que le SCRS fasse une demande de mandat, et ce pour un certain nombre de raisons, dont le fait que le ministre est à l'étranger et qu'il n'est pas en mesure d'examiner une demande urgente. Dans de tels cas, le pouvoir d'autorisation du ministre pourrait être délégué afin que le SCRS puisse obtenir les mandats nécessaires de la Cour fédérale pour faire avancer ses enquêtes sur la sécurité nationale.
Qu'en pensez-vous?
- Le SCRS devrait-il être en mesure de contraindre une personne ou une organisation à préserver des informations éphémères lorsqu'il a l'intention de demander une ordonnance de communication ou un mandat pour obtenir ces informations?
- Le SCRS devrait-il être en mesure de contraindre une personne ou une organisation à lui communiquer des informations s'il a des motifs raisonnables de croire que ces informations sont probablement importantes et qu'elles l'aideront probablement dans l'exercice des fonctions qui lui sont conférées en vertu des articles 12 ou 16 de la Loi sur le SCRS?
- Le SCRS devrait-il être en mesure de mener une activité de collecte ponctuelle, par exemple obtenir et examiner une clé USB s'il a des motifs raisonnables de croire qu'elle contient des informations liées à la menace, sans avoir à en prouver la nécessité pour les besoins de l'enquête? Dans l'affirmative, quelles exigences lui faudrait-il respecter pour demander des mandats qui autorisent différents pouvoirs?
- Lorsque le ministre de la Sécurité publique n'est pas en mesure d'autoriser le SCRS à présenter une demande d'autorisation judiciaire à la Cour fédérale et que la question ne peut pas attendre, devrait-il exister un mécanisme de délégation de ce pouvoir? Dans l'affirmative, à qui ce pouvoir devrait-il être délégué et dans quels types de situations devrait-il s'appliquer?
Question no 3 : Faut-il combler une lacune causée par les progrès technologiques et rétablir la capacité du SCRS de recueillir, depuis le Canada, des informations sur d'autres États et des ressortissants étrangers qui se trouvent au Canada?
Contexte
L'article 16 de la Loi sur le SCRS autorise le SCRS à recueillir, à la demande du ministre des Affaires étrangères ou du ministre de la Défense nationale, des informations sur des États ou des ressortissants étrangers (c'est-à-dire des renseignements étrangers) « dans les limites du Canada ». Comme la technologie a énormément évolué depuis l'adoption de l'article 16 en 1984, le Parlement ne pouvait pas savoir à quel point la limite géographique « dans les limites du Canada » restreindrait la collecte de renseignements dans un contexte où les informations sont numériques dans une large mesure et ne connaissent pas de frontières.
Quel est le problème?
Lorsqu'il a adopté la Loi sur le SCRS en 1984, le Parlement a donné au SCRS le mandat de prêter assistance à la collecte de renseignements étrangers. Il a reconnu que la collecte de renseignements étrangers au Canada nécessitait du savoir-faire, et que le SCRS était le mieux placé pour accomplir cette tâche. Toutefois, le Parlement a restreint ce mandat à la collecte « dans les limites du Canada », parce qu'il ne voulait pas que le SCRS recueille des renseignements étrangers dans d'autres pays. En outre, la Loi sur le Centre de la sécurité des télécommunications interdit au Centre de la sécurité des télécommunications (CST) de viser, dans ses activités de collecte, des Canadiens ou des personnes se trouvant au Canada.
La Cour fédérale et la Cour d'appel fédérale (2018 CF 738, 2018 CAF 207, 2020 CF 757, 2021 CAF 165) ont interprété l'expression « dans les limites du Canada » ainsi : il est interdit au SCRS de recueillir, depuis le Canada, des informations sur des États ou des ressortissants étrangers si elles se trouvent à l'extérieur du Canada. Depuis que ces décisions ont été rendues, étant donné les avancées technologiques, le SCRS n'a plus qu'une vue limitée sur les activités menées par des États ou des ressortissants étrangers en sol canadien lorsque les informations électroniques se trouvent à l'extérieur du Canada. Les tribunaux ont clairement indiqué qu'« il incombe au législateur, et non aux tribunaux, de rajuster en fonction des percées technologiques les techniques d'enquête dont peut faire usage le Service [en vertu de l'article 16 de la Loi sur le SCRS] » (2021 CAF 165, paragraphe 6).
Les libellés de la Loi sur le SCRS et de la Loi sur le CST engendrent une lacune en matière de renseignements étrangers. Il est essentiel d'aider le gouvernement du Canada à gérer ses relations étrangères et à assurer la défense nationale. Il faut absolument combler cette lacune si l'on veut que le gouvernement comprenne bien les moyens, les intentions ou les activités des États ou ressortissants étrangers qui peuvent se livrer à des activités d'ingérence étrangère.
Changement législatif possible
Redonner au SCRS une certaine capacité, perdue essentiellement en raison des progrès technologiques, de recueillir depuis le Canada des renseignements étrangers qui se trouvent à l'extérieur du Canada sur d'autres États et des ressortissants étrangers se trouvant au Canada, tout en conservant les autres limites imposées. La collecte d'informations doit être effectuée à la demande du ministre des Affaires étrangères ou du ministre de la Défense nationale et est assujettie au consentement du ministre de la Sécurité publique ainsi qu'à l'approbation et aux conditions de la Cour fédérale. De plus, les activités de collecte menées en vertu de l'article 16 ne peuvent pas viser des citoyens canadiens, des résidents permanents ou des personnes morales constituées au Canada.
Qu'en pensez-vous?
- La Loi sur le SCRS devrait-elle être modifiée afin que la capacité du SCRS de recueillir des renseignements étrangers à la demande de ministres évolue au même rythme que la technologie, qui se trouve à générer des informations numériques qui ne connaissent pas de frontières? Dans l'affirmative, quelles devraient être les limites?
Question no 4 : Faut-il modifier la Loi sur le SCRS pour accroître la capacité du SCRS de tirer profit de l'analytique des données pour enquêter sur les menaces à l'ère moderne?
Contexte
En ajoutant au projet de loi C-59 le régime applicable aux ensembles de données établi aux articles 11.01 à 11.25 de la Loi sur le SCRS, le législateur a reconnu que les données et la technologie avaient redéfini le contexte de la menace et des enquêtes. Il se trouvait aussi à donner suite à la décision de la Cour fédérale sur les « données connexes » (2016 CF 1105). Ce régime visait à autoriser le SCRS à recueillir, à conserver et à utiliser les ensembles de données qui, « dans l'immédiat, ne sont pas directement liés » à une menace envers la sécurité nationale, mais qui peuvent l'aider dans l'exercice des fonctions qui lui sont conférées en vertu des articles 12 à 16 de la Loi sur le SCRS. Il prévoit de nombreuses mesures de protection pour réduire au minimum les informations personnelles et privées figurant dans les ensembles de données recueillis, surtout celles qui sont liées à des Canadiens ou à d'autres individus se trouvant au Canada.
Quel est le problème?
Malgré l'entrée en vigueur du régime applicable aux ensembles de données, le SCRS n'est pas vraiment en mesure de conserver et d'utiliser des ensembles de données, même quand il est manifeste qu'ils sont utiles à l'exercice de son mandat.
La période d'évaluation de 90 jours est une de ces exigences qui compliquent l'application du régime. Plus précisément, lorsque le SCRS recueille un ensemble de données, une période d'évaluation de 90 jours stricte commence, au cours de laquelle le SCRS doit accomplir une série de tâches, dont en traduire et en décrypter le contenu, utiliser des techniques de révision liées à la protection de la vie privée et en organiser les données. S'il s'agit d'un ensemble de données étranger, le SCRS doit également, pendant la période d'évaluation de 90 jours, en extraire les informations ayant trait à des Canadiens afin soit de les détruire soit de constituer un ensemble de données canadien distinct. Il doit aussi préparer et présenter les demandes d'approbation par le ministre et d'autorisation judiciaire nécessaires pour conserver l'ensemble de données au cours de la même période de 90 jours. Si le SCRS est incapable d'évaluer pleinement l'ensemble de données et de présenter la demande de conservation requise dans le délai de 90 jours, il doit détruire l'ensemble de données.
Par exemple, un partenaire de confiance fournit au SCRS un ensemble de données renfermant des informations (comptes, coordonnées, relations) tirées des dossiers d'un pays qui a l'habitude de se livrer à des activités d'ingérence étrangère. Les informations portent principalement sur des individus qui ne sont pas des Canadiens et qui se trouvent à l'extérieur du Canada (informations étrangères), mais l'ensemble de données pourrait également contenir des informations liées à des Canadiens. La Loi prévoit des processus d'approbation et de conservation différents pour les ensembles de données étrangers et les ensembles de données canadiens. Pour être en mesure de conserver la totalité de ces informations en vertu du régime applicable, le SCRS doit évaluer l'ensemble de données étranger dans les 90 jours suivant la collecte, en extraire toutes les informations liées à des Canadiens, puis demander au ministre de la Sécurité publique l'autorisation de le conserver. Le commissaire au renseignement doit aussi examiner et approuver l'autorisation du ministre. Par ailleurs, le SCRS doit obtenir l'approbation du ministre pour demander à la Cour fédérale l'autorisation de conserver les informations liées à des Canadiens sous la forme d'un ensemble de données canadien. Au préalable cependant, le Service doit avoir des motifs raisonnables de croire que les informations liées à des Canadiens font partie d'une catégorie approuvée d'ensembles de données canadiens. La totalité du processus pourrait nécessiter jusqu'à cinq demandes distinctes qui seront présentées au ministre, au commissaire au renseignement ou à la Cour, ce qui signifie que le SCRS ne pourrait pas exploiter les données avant six à neuf mois. Il est possible qu'elles soient beaucoup moins utiles sur le plan du renseignement à ce moment-là. Si le SCRS ne peut pas évaluer l'ensemble de données et présenter les demandes nécessaires pour le conserver dans les délais fixés par la Loi, il est obligé de détruire toutes les données.
Le régime comporte aussi des ambiguïtés qui empêchent le SCRS de tirer parti des ensembles de données de la façon prévue par le Parlement et qui pourraient nuire à l'exercice des fonctions qui lui sont conférées en vertu des articles 12 et 16 de la Loi sur le SCRS. Un nombre restreint de modifications qui dissiperaient ces ambiguïtés améliorerait la viabilité du régime et fournirait les éclaircissements nécessaires pour éviter de multiples interprétations juridiques.
D'autres limites du régime applicable aux ensembles de données font aussi que le SCRS perd des occasions et des informations utiles. Par exemple, à l'heure actuelle, le SCRS ne peut pas interroger ou exploiter des ensembles de données canadiens pour fournir des évaluations de sécurité ou des conseils au titre de l'article 15 de la Loi sur le SCRS. Dans le cadre du processus de filtrage de sécurité, les demandeurs doivent, entre autres, fournir des informations sur leurs études et leurs antécédents professionnels, ce qui est utile pour évaluer leur loyauté. Les efforts d'un demandeur pour dissimuler ou omettre ses liens avec certaines institutions peuvent être pertinents dans une enquête de filtrage. Le SCRS ne peut cependant pas interroger un ensemble de données canadien portant sur les personnes au Canada qui ont étudié dans une université associée aux forces armées d'un autre pays dans le cadre d'une enquête de filtrage.
Le SCRS collabore avec de nombreux partenaires canadiens, comme le CST et la GRC, dans l'exercice de son mandat lié à la sécurité nationale. Les ensembles de données qu'il pourrait être en mesure de recueillir en vertu du régime pourraient présenter un intérêt dans le cadre du mandat d'autres organismes. Toutefois, le SCRS ne peut pas communiquer ces ensembles de données à des organismes partenaires parce que le régime ne prévoit pas la communication d'ensembles de données complets. Cette limite l'empêche aussi de collaborer avec des partenaires étrangers lorsque des ensembles de données pourraient être d'intérêt mutuel, par exemple lorsqu'un ensemble de données, bien qu'il ne soit pas directement lié à une menace, pourrait être utile dans l'enquête sur un État qui se livre énergiquement à des activités d'ingérence étrangère.
Changement législatif possible
Le gouvernement pourrait proposer des modifications ciblées au régime applicable aux ensembles de données afin d'atténuer certaines des pires difficultés, par exemple, permettre des prolongations de la période d'évaluation ou accroître la durée des catégories d'ensembles de données approuvées ou des autorisations de conserver des ensembles de données canadiens et étrangers.
D'autres modifications pourraient préciser que le régime ne s'applique qu'aux ensembles de données qui ne sont visés par aucun autre pouvoir dans la Loi sur le SCRS, que les catégories d'ensembles de données canadiens ne doivent être valides qu'à l'étape de la collecte et que les ensembles de données étrangers qui contiennent des informations liées à des Canadiens peuvent être traités comme des ensembles de données canadiens (le plus rigoureux des deux processus) afin d'éviter de multiples demandes d'autorisations. D'autres encore pourraient permettre au SCRS de communiquer des ensembles de données sous réserve de conditions strictes et d'interroger ou d'exploiter des ensembles de données canadiens dans le cadre d'enquêtes de filtrage menées au titre de l'article 15.
Qu'en pensez-vous?
- Comment le SCRS pourrait-il s'y prendre pour être mieux en mesure de recueillir et d'utiliser des ensembles de données rapidement et efficacement, tout en respectant les droits garantis par la Charte, dans un monde axé sur les données?
- Le SCRS devrait-il pouvoir interroger ou exploiter des ensembles de données canadiens aux fins de l'article 15? Dans l'affirmative, pensez-vous que des mesures de protection ou des limites additionnelles devraient être mises en place?
- Le SCRS devrait-il pouvoir communiquer des ensembles de données canadiens ou étrangers à des partenaires canadiens qui sont autorisés par la loi à recueillir le type d'informations que ces ensembles de données contiennent? Dans l'affirmative, quelles mesures de protection ou conditions devraient être mises en place, le cas échéant?
- Le SCRS devrait-il être autorisé à communiquer des ensembles de données étrangers à des partenaires étrangers? Dans l'affirmative, quelles mesures de protection ou conditions devraient être mises en place, le cas échéant?
Question no 5 : Faut-il ajouter une disposition exigeant que la Loi sur le SCRS fasse l'objet d'un examen régulier afin que le SCRS puisse évoluer au même rythme que les menaces?
Contexte
Le contexte de la menace est en constante évolution, et le Canada doit s'assurer de disposer des outils dont il a besoin pour détecter les menaces pour la sécurité nationale et les contrer. Toutefois, la Loi sur le SCRS n'est modifiée que de façon ponctuelle parce qu'aucune disposition ne prévoit qu'elle fasse l'objet d'un examen régulier.
Quel est le problème?
Contrairement à la majorité de ses alliés, le Canada n'a prévu aucune disposition législative exigeant que la Loi sur le SCRS fasse l'objet d'un examen régulier pour s'assurer qu'elle évolue au même rythme que les technologies et les données et qu'elle tienne compte de leurs répercussions sur les menaces pour la sécurité nationale. Par conséquent, il est à peu près inévitable que les pouvoirs du SCRS deviennent désuets, ce qui rend le Canada et les Canadiens vulnérables.
Il est essentiel de donner au SCRS les outils nécessaires pour contrer les menaces actuelles, mais aussi celles de demain, et ainsi protéger le Canada et les Canadiens contre les menaces pour la sécurité nationale. Des pouvoirs à jour renforceraient la capacité du SCRS et du Canada de collaborer avec des alliés et permettraient au Canada de conserver sa réputation à titre de partenaire de confiance dans la lutte contre les menaces pour la sécurité nationale qui transcendent de plus en plus souvent les frontières.
Changement législatif possible
Ajouter une disposition exigeant que le Parlement examine régulièrement la Loi sur le SCRS.
Qu'en pensez-vous?
- Faudrait-il que la Loi exige que les pouvoirs conférés au SCRS fassent l'objet d'un examen régulier, de manière à évoluer au même rythme que les technologies et les adversaires du Canada? Dans l'affirmative, à quelle fréquence?
- Avez-vous d'autres opinions dont vous aimeriez nous faire part concernant les modifications possibles de la Loi sur le SCRS?
- Date de modification :