Évaluation du programme Alternative Suspension
Contexte
Le programme Alternative Suspension (AS) a d’abord été mis en œuvre par les YMCA du Québec en 1999 comme suite à la demande d’une école locale à Montréal. L’organisation a reçu du financement de Sécurité publique Canada pour mettre en œuvre le programme dans plusieurs sites à l’échelle du Canada de 2009 à 2015Footnote1. L’intervention a pour but ultime de réduire l’activité criminelle en accroissant l’attachement des jeunes à l’école ainsi que leur engagement envers elle. À long terme, on s’attend à ce que les participants soient dissuadés d’abandonner l’école et fassent l’objet d’un moins grand nombre de mesures disciplinaires. Pour leur part, les résultats à moyen terme du programme incluent une baisse du nombre de mesures disciplinaires, l’achèvement de l’année scolaire et une participation accrue à des activités prosociales. Sécurité publique Canada a retenu les services de la firme Malatest Program Evaluation & Market Research pour effectuer l’évaluation d’impact multisite du programme AS (valeur de 612 675 $) dans les endroits suivants : Chilliwack (Colombie‑Britannique), Edmonton Nord/Ouest (Alberta) et Moncton (Nouveau‑Brunswick).
Méthode
L’évaluation du programme AS repose sur un devis comportant des prétests et des post-tests et faisant appel à un groupe témoin non équivalent formé de trois catégories de jeunes : 1) élèves qui ont été admis au programme mais n’y ont jamais participé; 2) élèves d’autres sites de service AS qui ont été admis au programme mais n’y ont jamais participé; 3) élèves qui n’ont pas achevé le programme dans les sites d’évaluation et les autres sites du programme, qui ont entamé le programme mais l’ont quitté avant la fin. Les évaluateurs se sont servis des données des écoles, des dossiers du programme et des données recueillies par les travailleurs auprès des jeunes. Ils ont également tenu des séances de groupe et mené des entrevues auprès d’informateurs clés avec les jeunes, les coordonnateurs du programme et les travailleurs auprès des jeunes. Un suivi de la dernière cohorte de jeunes a été effectué (n=17). Des méthodes d’analyse statistique descriptive et des techniques statistiques déductives ont été utilisées conjointement avec une analyse du contenu réalisée à partir des données qualitatives.
Constatations
Les élèves ont fait état de bons niveaux de compréhension de la raison de leur suspension immédiatement après leur retour à l’école et 30 jours plus tard. Environ 89,4 % des élèves (n=207) ont dit qu’ils « comprenaient plus ou moins » ou « comprenaient vraiment » la raison de leur suspension. La compréhension de la raison de la suspension a connu une augmentation statistiquement significative entre la réinsertion et le suivi, ce qui montre que les jeunes réfléchissaient davantage. Pour l’ensemble des sites, 49,6 % des élèves ayant achevé le programme croyaient que ce qu’ils avaient appris leur serait « relativement utile » dans leur carrière scolaire, et 42,1 % que ça leur serait « très utile » (n=382). Environ 49,6 % de tous les élèves étaient d’avis que ce qu’ils avaient appris durant le programme était « utile » à leur vie à l’extérieur de l’école, comparativement à 42,6 % qui ont dit que c’était « très utile » (n=383).
Selon l’évaluation effectuée par l’école, le comportement des jeunes (n=462) s’est considérablement amélioré entre le moment où les jeunes ont été dirigés vers le programme et le suivi 30 jours après leur participation. Le rendement scolaire des élèves s’est aussi amélioré (n=319). L’achèvement du programme avait un effet positif important sur le rattrapage des jeunes dans leurs travaux scolaires, et sur le maintien des améliorations pendant au moins 30 jours après le retour à l’école. Rien ne montre que le programme AS a accru l’intérêt des jeunes envers les activités parascolaires ou prosociales, quoique certains jeunes, parents, membres de la direction et du personnel de l’école, coordonnateurs et intervenants du programme aient mentionné une telle augmentation.
À la fin de l’année scolaire, 45,0 % des jeunes ayant achevé le programme avaient terminé tous leurs cours; 44,1 % de ces jeunes et 28,8 % des membres du groupe témoin avaient « rempli ou dépassé les attentes » au chapitre du rendement scolaire. Environ 17,7 % des participants et 40,4 % des membres du groupe témoin n’avaient pas rempli ces attentes. De façon générale, 59 % des jeunes ayant achevé le programme et 38,1 % des membres du groupe témoin avaient amélioré leur comportement à l’école. Une baisse du nombre de mesures disciplinaires a été enregistrée chez 61,5 % des jeunes ayant achevé le programme et 39,6 % du groupe témoin. Autour de 3,8 % des jeunes ayant achevé le programme et 14,3 % des membres du groupe témoin avaient abandonné l’école à la fin de l’année. Les élèves ayant achevé le programme qui avaient le plus de chances d’améliorer leur comportement avaient été dirigés vers le programme en raison de leur toxicomanie (29 fois plus de chances), de leur comportement criminel (14 fois plus de chances) ou de leur violence physique ou verbale (12 fois plus de chances). Les jeunes appartenant à une minorité visible étaient trois fois plus susceptibles de connaître un changement positif dans leur rendement scolaire.
Le coût moyen du programme AS par jeune ayant achevé le programme était de 1 340 $ à Moncton, de 2 107 $ à Edmonton et de 1 693 $ à Chilliwack. À la fin de l’année scolaire, 75,2 % des jeunes ayant achevé le programme et 56,3 % des membres du groupe témoin avaient connu au moins un résultat positif. Le coût moyen net par effet positif variait entre 8 852 $ et 10 818 $, et le coût marginal, entre 5 002 $ et 7 238 $.
Répercussions
Le modèle AS répond directement aux besoins cruciaux des collectivités participantes, notamment au chapitre des taux élevés de décrochage et de délinquance juvénile ainsi que des activités criminelles chez les jeunes. Le programme agit sur les facteurs de risque scolaires en réalisant une intervention à court terme auprès des élèves qui présentent au moins un facteur de risque. Les principales composantes du programme AS sont considérées comme des pratiques exemplaires dans la littérature.
Les élèves qui éprouvent des problèmes de toxicomanie ou qui affichent un comportement violent ou criminel ont plus de chances de bénéficier du programme. Ce dernier n’augmente pas la participation à des activités parascolaires ou prosociales, mais il peut améliorer le comportement des élèves à l’école, réduire le nombre de mesures disciplinaires et aider l’élève à remplir les attentes au chapitre du rendement scolaire. En outre, si le programme ne réduit pas le risque d’expulsion, de transfert dans une autre école ou de nouvelle suspension, il semble avoir des effets positifs sur les élèves et peut sans doute jouer un rôle lorsqu’il s’agit d’intervenir dans la trajectoire des élèves de la suspension au décrochage. Les commissions scolaires et les écoles qui aimeraient prendre part au programme AS et y diriger leurs élèves à risque doivent être conscientes que le contexte scolaire influe grandement sur l’obtention de résultats. Le coût moyen par jeune ayant achevé le programme est faible compte tenu des coûts de l’activité criminelle. Par ailleurs, on a constaté qu’il était possible de recouvrer indirectement le coût de la prestation du programme AS dans la différence entre l’impôt fédéral sur le revenu payé par les personnes ayant obtenu un diplôme d’études secondaires et celles ayant abandonné l’école. En effet, la différence dans l’impôt fédéral sur le revenu payé pendant les 12 années suivant l’obtention du diplôme d’études secondaires serait suffisante pour compenser le coût du programme.
Source
Malatest Program Evaluation & Market Research. (2015). Multi-site Evaluation of the Alternative Suspension Program. Final Evaluation Report. Présenté à Danièle Laliberté, Sécurité publique Canada, le 16 décembre 2015.
Note de bas de pages
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En décembre 2015, le programme a été mis en œuvre dans 39 sites au Canada et 1 site en France.
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